Walid Soliman est l’un des cinq lauréat•es du programme Culture Moves Europe 2024.
Pendant sa résidence Culture Moves Europe, Walid traduit Carl Norac : Poèmes choisis, (L’Escampette-Le Taillis Pre-Poësie Centrum, 2008-2022), du français vers l’arabe.
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“Traduire, pour moi, est un vrai acte d’amour“
ATLAS – Bienvenue au CITL ! Peux-tu nous parler rapidement de ton parcours ?
Walid Soliman – Depuis mes débuts, la traduction littéraire et l’écriture étaient deux activités indissociables pour moi. J’étais au lycée quand j’ai écrit mon premier texte narratif. Il s’agissait d’une nouvelle que j’avais écrite en français. Et quelques jours après, je me suis amusé à la traduire en arabe. Cet exercice était tellement passionnant que je me suis mis à traduire d’autres textes qui me plaisaient. D’abord des poèmes, de Baudelaire surtout, ensuite les Illuminations de Rimbaud quand j’avais 15 ou 16 ans. Ce qui est sûr, c’est que traduire pour moi est un vrai acte d’amour. Et depuis, j’alterne ces deux activités que je trouve complémentaires. Jusqu’à ce jour, j’ai traduit une douzaine de livres variés (romans, essais, poésie…), principalement vers l’arabe, les derniers étant Une farouche liberté d’Annick Cojean et Gisèle Halimi et King Kong théorie de Virginie Despentes.
ATLAS – La résidence Culture Moves Europe s’adresse spécifiquement à des projets de traduction d’envergure, nécessitant un séjour de 2 mois. Peux-tu nous parler de celui sur lequel tu travailles ? Quels sont les défis et les problèmes que tu peux rencontrer ?
W. S. – Je traduis une sélection de poésie du grand poète belge francophone Carl Norac, qui est très peu connu dans le monde arabe. À vrai dire, cette résidence constitue pour moi une excellente opportunité pour me concentrer sur ce travail passionnant mais exigeant. En effet, mon choix des poèmes doit refléter la variété des thèmes traités par Carl Novac qui constitue, par sa sensibilité, une voix unique dans le paysage poétique européen. Quant aux défis, ils sont relatifs à la difficulté de traduire la poésie contemporaine d’une langue à une autre. Mais c’est bien le rôle du traducteur de trouver les solutions.
ATLAS – Que t’apporte cette résidence au CITL ?
W. S. – Le Collège International des Traducteurs Littéraires est le cadre idéal pour mener à bien un projet de traduction d’envergure. Toutes les conditions sont réunies pour permettre au traducteur de travailler efficacement : une résidence confortable et bien équipée, une bibliothèque riche ouverte 24/24, la possibilité de rencontrer d’autres traducteurs venus des quatre coins du monde, sans oublier l’équipe dynamique d’ATLAS qui est toujours à l’écoute des résidents. Aussi les organisateurs ont pensé à tout pour nous permettre de bien jouer notre rôle de promoteurs de dialogues entre les cultures. Et j’ai également apprécié le fait qu’ils n’ont pas oublié l’aspect environnemental, puisque les candidats qui optent pour le déplacement en ferry ou en train bénéficient d’un supplément. Personnellement, j’ai profité de la traversée de Tunis à Marseille en bateau et j’ai ainsi réduit mon empreinte carbone.
ATLAS – Quels auteurs ou livres aimerais-tu traduire, qui ne le sont pas encore dans ta langue?
W. S. – J’aimerais bien continuer à explorer la scène poétique belge que je trouve d’une grande richesse. Et j’espère pouvoir couronner ce travail par une anthologie de la poésie belge contemporaine qui s’adresserait aux lecteurs de langue arabe où qu’ils se trouvent, du Maghreb aux pays de Golfe.
LE PREMIER DÉSIR
Vous connaissez cette habitude :
se souvenir de ses premiers rires d’enfants,
puis les enfermer dans la main, les garder
telle une mésange captive entre nos doigts
ou une poignée de coccinelles.
Notre enfance figure ce caillou
servant aux ricochets et qui revient toujours,
ce gamin aux poches trouées d’où coulent, râpeux aux jambes,
emballages décolorés par la pluie, sables, coquillages coupants,
quelques tickets qui n’ouvrent rien, de faux billets de jeux,
et aussi le premier désir.
Nous vient alors cette cruauté qui n’est que le revers épineux
d’une tendresse un peu lourde, embourbée de larmes,
de cris si menus qu’ils fondent
comme la première friandise dans notre bouche.
Nous racontons peu cet âge-là,
parce qu’il est notre part encore animale,
celui où l’on gravit les murs,
où l’on se moque des barbelés, où l’on se met nu
en épluchant un fruit, en lorgnant des poissons,
en se couvrant de cendres sans songer aux ancêtres.
Vous connaissez cette habitude de rebobiner
les décennies, d’être frappé au mur de cette enfance,
celle qui vient mordre vos rêves si vous la niez au corps des jours.
Eveillez-là, essorez-là, épuisez-là,
accueillez, maintenant,
sans urgence à la faire briller,
sa douce et rassurante sauvagerie.
Carl Norac
This work was produced with the financial assistance of the European Union. The views expressed herein can in no way be taken to reflect the official opinion of the European Union.