Brésil – Un traducteur et son auteur
« Même lorsqu’il traduit des textes contemporains, un traducteur n’a pas toujours la chance qu’a eue Dominique Nédellec de rencontrer “son” auteur chez lui, dans son pays, dans sa ville. Comment ces échanges intensifs avec l’écrivain brésilien Michel Laub ont-ils nourri et peut-être infléchi le travail de traduction de Journal de la chute ?
Avec Dominique Nédellec, traducteur, et Michel Laub, auteur. Animé par Santiago Artozqui. »
Samedi 21 mars 2015 – Stand Place des auteurs
Telle était l’annonce de la manifestation – et auteur, traducteur et animateur ont pris à la lettre la question posée et tenté de cerner au plus près l’alchimie de cette rencontre et de cette collaboration.
Dominique Nédellec, traducteur expérimenté, dit de Journal de la chute que c’est un livre qui ne le quittera plus jusqu’à la fin de ses jours. Les thèmes qui s’entrelacent, l’intelligence de la narration, les émotions qu’il fait naître chez son lecteur en font un roman exceptionnel. L’écriture est à l’avenant, souple, évocatrice, riche d’échos parfois ambigus. De ces écritures qui représentent pour le traducteur un véritable défi : comment retrouver la même dynamique, les mêmes nuances, la même tension tout au long du roman ? Le contact réel avec l’auteur et son environnement a été, explique Dominique Nédellec, une grande chance à tous points de vue ; sans doute n’aurait-il pas traduit de la même manière s’il n’était pas allé au Brésil, s’il n’avait pas rencontré Laub chez lui et si celui-ci ne lui avait pas montré sa ville et ouvert une fenêtre sur sa vie privée : le seul fait, par exemple, d’écouter l’écrivain parler et de s’imprégner de son phrasé lui a permis de continuer à entendre sa voix et son rythme dans le texte écrit, pour le suivre au plus juste. D’autres enjeux de traduction très concrets ont pu être abordés directement entre l’auteur et le traducteur – la manière de faire passer l’ambiguïté de certaines phrases et expressions ou de traiter des citations plus ou moins fidèles à l’original, par exemple –, si bien que cette brève heure d’échanges est devenue une passionnante « leçon de traduction », qui a captivé un public nombreux et attentif.
Lettres polonaises – Un traducteur et son auteur
Dimanche 22 mars 2015 – Stand Place des auteurs
Après Dominique Nédellec et Michel Laub et leur expérience d’une rencontre auteur-traducteur toute en complicité discrète et retenue, la rencontre du dimanche, avec Isabelle Jannès-Kalinowski et la romancière polonaise Agata Tuszynska faisait découvrir à l’auditoire, toujours aussi nombreux, un tout autre type de lien et de travail entre un traducteur et son auteur.
Affirmant d’entrée de jeu que, hors de Pologne, elle n’existe que grâce à ses traducteurs, Agata Tuszynska avouait aussi qu’elle aime se « mêler un peu » de la traduction, spécialement dans les langues qu’elle connaît (l’anglais et le français), où elle peut ainsi « vérifier » si sa voix se retrouve bien dans le texte traduit. Car c’est dans ce passage d’une voix à l’autre que réside selon elle le véritable enjeu de la traduction.
Ingérence ? Manifestement pas pour Isabelle Jannès-Kalinowski, qui assume parfaitement l’idée de revoir son travail directement avec l’auteur : « Nous sommes passées à la phase des corrections », dit-elle par exemple. L’auteur, il est vrai, semble avoir particulièrement réfléchi au travail du traducteur et aux qualités qu’il lui faut mettre en œuvre, qu’elle expose dans une sorte de « Guide du traducteur idéal » où s’entend l’admiration – le traducteur doit « avoir du talent, une oreille linguistique, voire poétique, de la sensibilité, de l’inventivité et de la légèreté linguistique, il doit savoir ciseler les mots en tenant compte de leur couleur, de leur force et de leur voisinage réciproque » – autant que l’exigence et l’autorité – le traducteur doit « exécuter avec précision la volonté de l’auteur, avoir un sentiment de responsabilité vis-à-vis du texte, le travail ne doit pas lui faire peur… ».
À voir le large sourire d’Isabelle Jannès-Kalinowski évoquant les séances de travail avec Agata Tuszynska, on se disait que la relation entre un traducteur et son auteur peut décidément prendre bien des aspects, y compris celui de cette surprenante symbiose, et que la traduction est sans doute, pour reprendre les termes de la romancière polonaise, « une aventure intellectuelle et émotionnelle ».