Depuis plus de quatre ans, la perspective de l’année capitale (Marseille Provence 2013) a constitué pour le CITL un horizon et une opportunité. Nous y sommes. Ces dernières années ont permis à 54 jeunes traducteurs de vivre une expérience rare, pour beaucoup fondatrice, en consacrant dix semaines de leur vie à éprouver, dans les conditions de travail les plus favorables, la solidité de leur vocation. En atelier bilingue, ils ont traduit depuis et vers le russe, le chinois, l’italien, l’arabe, l’espagnol, le portugais, le turc, le néerlandais, le serbe et le croate, ont confronté leurs savoir-faire, leurs outils, leurs approches de la langue et de la littérature, en étant accompagnés dans leurs projets personnels par des maîtres en traduction. Ces traducteurs émérites, plus d’une cinquantaine au total, se sont succédé auprès des traducteurs plus jeunes pour leur apporter leurs points de vue, nécessairement divers, possiblement complémentaires et pourquoi pas contradictoires, sur les choix qu’ils opéraient. Au fil des semaines, les rencontres avec des éditeurs, des traducteurs en résidence, des auteurs et d’autres professionnels du livre ont contribué à leur donner des repères, tant sur le métier tel qu’il se pratique que sur celui qu’ils entendent exercer. Tous les ingrédients d’un formidable creuset intellectuel ont été réunis, dans une discrète effervescence au long cours, aussi stimulante pour les traducteurs en formation que pour nombres de résidents. Il ne restait plus qu’à provoquer la rencontre et la confrontation entre les uns et les autres, entre les différentes littératures et leurs diverses façons d’exprimer le monde, d’en appréhender la réalité et de forger les imaginaires.
Sept de ces jeunes traducteurs, traduisant des langues du pourtour méditerranéen vers le français, sont aujourd’hui rassemblés en un comité de lecture qui entreprend une exploration des littératures contemporaines venues des pays arabophones, d’Espagne, du Portugal, d’Italie, de Turquie, de Serbie, de Croatie et de Bosnie. Partie émergée d’une construction de longue haleine, ce projet a pour nom Levée d’Encres! Il confie à ces lecteurs/traducteurs une responsabilité éditoriale qui, osons le mot, est aussi une responsabilité politique. En toute subjectivité, ils questionnent, explorent, lisent et traduisent des voix nouvelles, inédites en français. Bientôt, dans le cadre de deux manifestations publiques de la capitale européenne de la culture, ils donneront à entendre les textes qu’ils estiment nécessaire de faire connaître, assumant ainsi toute la place qui leur revient, en tant que traducteur, dans une Europe des lettres ouverte sur sa rive sud.
Au mois d’octobre, ils convieront le public à embarquer pour deux voyages successifs, à la découverte de ces voix à traduire, qu’ils porteront à la scène. Chacun de ces voyages s’articulera autour d’un thème. À Arles le 16 octobre, dans le cadre somptueux du Musée Réattu, le public sera guidé à travers un parcours de sept textes faisant écho à l’exposition Nuage : ceux-ci répondront, de façon plus ou moins métaphorique, à l’espace imaginaire ouvert par le thème de l’exposition. À Marseille le 18 octobre, les lecteurs de Levée d’Encres! présenteront sept textes différents des premiers, qui s’inscriront, quant à eux, dans la thématique de l’Invention du Réel.
Cet aboutissement n’est bien sûr que le point de départ vers d’autres circulations. Car si le réel reste à inventer, les traducteurs, émissaires de réalités et de perceptions venues d’ailleurs, ont largement à y prendre part.
Jörn Cambreleng, directeur du CITL