Vendredi 5 avril, pour conclure le premier tutorat de l’atelier anglais-français de la Fabrique des traducteurs, Catherine Richard a imaginé un dernier rendez-vous avec les six jeunes traductrices en formation : visiter les cryptoportiques d’Arles, s’imprégner de l’atmosphère, puis traduire ses émotions au rythme de phrases classiques d’auteurs célèbres tels que Flaubert, Rimbaud, Shakespeare ou encore Gérard Manset pour une chanson d’Alain Bashung. Voici, d’une langue à l’autre, les variations produites lors ce dernier exercice traductif.
Le rythme des émotions
– Recette oulipienne pour sept traductrices –
Visez une ville romaine moyenne, tiens, arlésienne.
Si vous voyez un forum, crotte de bique, mauvais millénaire : ajustez le métronome.
Creusez six pieds sous terre : voici les cryptoportiques.
Choisissez avec soin six traductrices en formation et une septième plus chevronnée.
Envoyez-les balader aux portiques susmentionnés.
Sitôt rentrées, offrez-leur crayon, papier, et comme base, quelques phrases classiques et bien rythmées.
Patientez.
Dégustez !
“C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar” – Salammbô, Gustave Flaubert
• C’était dessous la terre, au fond des ténèbres, indémodable ombilic
• On the class trip that day, she wandered too far, and they left her underground
• Je tiens la caméra, filme le carnage, sous les voûtes du couloir
• C’était en Arles antique, colonnes écroulées sous les cryptoportiques
• Unsettled by the dark, grateful for the light, soft and diffused as it is
• They drip and lick the clay, pockmarked like bad skin, making small pools underground
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“C’est un trou de verdure où chante une rivière” – Le dormeur du val, Arthur Rimbaud
• C’est un vertige moite, d’où l’on ne ressort pas
• Sa silhouette inquiétante au bout du labyrinthe
• Pierre usée par le temps, profondeur des ténèbres
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“Oh that this too, too sullied flesh would melt, thaw, and resolve itself into a dew” – Hamlet, William Shakespeare
• Au fond du noir, noir labyrinthe, la flaque, nette, multiplie l’écho mystérieux
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“Là un dard venimeux, là un socle trompeur, plus loin une souche à demi-trempée dans un liquide saumâtre plein de décoctions d’acide qui vous rongerait les os” – Vénus, Gérard Manset (pour Alain Bashung)
• Goutte un plic assourdi dans la flaque traîtreuse, je mets le pied dans un trou vaseux, voilà que l’eau s’infiltre par capillarité, mon collant est ruiné.
• Là un puits de lumière, là un bloc millénaire, plus loin une flaque à demi absorbée par la terre érodée, pleine de traces mystérieuses où se perdent les yeux
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“Je ne viens pas ce soir vaincre ton corps, ô bête” – Angoisse, Stéphane Mallarmé
• Et au fond du trou un jour tu te perds, eh merde.
• I will die in this hole, a killer hides, oh god.
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“La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse /Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse” – La servante, Charles Baudelaire
• Le forum animé où jadis on riait / En boyau a mué, tortueux et secret
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“M’illumino d’immenso” – Ungaretti
• Marécageuse émotion
• A modern bulb, the exit.