Norbert Danysz est l’un des trois traducteurs français sélectionnés pour l’atelier français-chinois 2018 de la Fabrique des Traducteurs. Il a fait connaissance avec le monde chinois en résidant à Pékin dans son enfance et a poursuivi l’étude de cette langue en classes préparatoires puis à l’ENS de Lyon. Il a choisi de traduire le recueil Benci lieche zhongdian de l’auteur Wang Anyi originaire de Shanghaï. Après les deux premiers tutorats de l’atelier, il nous fait découvrir l’évolution de sa traduction.
La nouvelle 《金灿灿的落叶》(“Les Feuilles mordorées de l’automne”) de l’écrivaine shanghaïenne Wang Anyi est une œuvre de jeunesse, publiée pour la première fois en décembre 1981 dans la revue《青春》[qīngchūn], la revue Jeunesse, une revue mensuelle de Nankin lancée en 1979. Les quatre phrases dont vous pouvez ici suivre la transformation sont extraites de la scène d’exposition au début de la nouvelle. Une jeune femme file sur son vélo, elle roule dans la pénombre des platanes, un soir d’automne, faisant craquer sous ses roues les feuilles mortes qui jonchent le sol.
一阵风吹过来,一批树叶飘飘悠悠地落下。叶离开了树,便是生命的结束。而树呢,摆脱了一批树叶,却能聚集精力静养,待到来年开春,又获得年轻新鲜的绿叶。她奇怪那一片片秋叶,会是这么悠然而安详地飘落。
Un découpage mot à mot des quatre phrases permet de saisir très grossièrement le sens de ce paragraphe. L’absence d’équivalent français pour quelques termes chinois peut rendre l’exercice légèrement difficile, notamment pour le dernier mot du passage, le verbe 飘落, qui signifie tout à la fois que les feuilles se détachent de l’arbre, tombent lentement par terre, dérivent au gré du vent et flottent légèrement dans les airs.
un | court | instant | vent | souffler | direction, un | groupe | feuille d’arbre | voleter | tranquillement | tomber. feuille | quitter | arbre, alors | être | vie | fin. mais | arbre, se débarrasser | groupe | feuille d’arbre, pouvoir | rassembler | vitalité | se remettre d’une maladie, attendre | jusqu’à | année prochaine | début du printemps, à nouveau | obtenir | jeune | frais | vert | feuille. elle | étrange | ces | chacune | feuille d’automne, pouvoir | être | tant | tranquillement | et | paisiblement | tomber en se laissant porter et en voletant.
Pour le premier jet, je tente tant bien que mal d’englober le plus d’éléments possible du texte, quitte à être redondant en français, quitte à supprimer certains bout qui dépassent, parce qu’ils sont inutiles ou qu’ils alourdissent la traduction. L’absence de conjugaison en chinois permet de choisir en français le temps qui convient le mieux, j’ai comme premier réflexe d’utiliser le passé simple pour raconter le début de cette nouvelle.
Une rafale de vent souffla, quelques feuilles tombèrent en voletant tranquillement. Lorsque les feuilles quittent les arbres, leur vie est terminée. Mais lorsque les arbres se débarrassent de quelques feuilles, ils peuvent rassembler leurs énergies pour se rétablir, en attendant le début du printemps de l’année à venir, ils obtiendront à nouveau des feuilles vertes jeunes et fraîches. Elle fut surprise que toutes ces feuilles d’automne puissent être aussi tranquilles et paisibles quand elles tombent en se laissant porter et en voletant.
Je traduis cette nouvelle à mesure que je la lis, mais l’irruption de souvenirs dans la suite du texte, les ellipses temporelles vers le passé, m’imposent finalement de changer le temps de la situation initiale, afin de marquer une nette différence entre les réminiscences de l’héroïne (au plus-que-parfait) et l’action principale de la nouvelle (au présent). Le travail du premier tutorat permet également de supprimer les maladresses du premier jet.
Souffle une rafale de vent, une flopée de feuilles tombe en voletant, lentement. Les feuilles qui se détachent de leur arbre sont comme à la fin de leur vie. Mais pour l’arbre, se séparer de quelques feuilles lui permet de rassembler ses forces vives et de se refaire jusqu’au début du printemps où il retrouvera son vert feuillage plein de fraîcheur et de jeunesse. Elle est surprise devant toutes ces feuilles, de leur capacité à se laisser tomber sans inquiétude en tournoyant paresseusement.
Après avoir lu et traduit l’ensemble de la nouvelle, il s’avère que l’action principale, à raconter au présent, se trouve à la toute fin du texte, et que le début de l’histoire était lui aussi un souvenir du personnage principal, mais un souvenir plus récent que les épisodes traduits avec le plus-que-parfait. Il convient donc d’utiliser en dernière instance le passé composé pour ce passage. Le travail du deuxième tutorat permet en outre de peaufiner l’expression et d’affiner la langue.
Un coup de vent a passé, une brassée de feuilles s’est envolée dans un tourbillon. Les feuilles se détachent des arbres, leur vie s’achève. Quant aux arbres, une fois dépouillés de leurs feuilles, ils pourront recouvrer leurs forces, attendre l’arrivée du printemps et regagner un jeune et verdoyant feuillage. Toutes ces feuilles l’ont surprise, qui pouvaient se laisser choir dans le vent libres et sereines.
Les questions de temporalité ne poseront normalement plus problème, mais à la relecture, il sera toujours possible de changer un verbe ici, un adjectif là…
L’atelier français-chinois 2018 de la Fabrique des Traducteurs est soutenu par le CCTSS – Chinese Culture Translation & Studies Support, l’ambassade de France en Chine, l’Institut français, le Ministère de la Culture et de la Communication – Délégation générale à la langue française et aux langues de France, la SOFIA, la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, la Ville d’Arles, le conseil départemental des Bouches-du-Rhône.