La traduction marathon du Journal de Maïdan
« Il fallait que je rattrape le temps, c’était une course contre la montre »
Témoignage en direct du soulèvement des Ukrainiens, le journal d’Andreï Kourkov couvre les événements de la place Maïdan du 21 novembre 2013 au 24 avril 2014. Destiné aux lecteurs européens, le livre a été traduit dans l’urgence par Paul Lequesne et fabriqué au jour le jour par l’équipe des éditions Liana Levi afin de paraître avant le 25 mai 2014, date des élections anticipées.
« Je ne pars pas. Je ne me dérobe pas à la réalité », telle est la position d’Andreï Kourkov qui, habitant à cinq cents mètres de la place Maïdan, suspend le 21 novembre 2013 l’écriture de son prochain roman pour rendre un témoignage au jour le jour de l’évolution du conflit en Ukraine. Le célèbre auteur duPingouin destine d’emblée ce journal quotidien aux lecteurs européens. Le livre a ainsi été traduit en français, allemand, anglais, estonien, polonais et italien, mais ne paraîtra pas en Ukraine.
En résidence à Arles pour traduire dans les meilleures conditions
En visite au salon du livre à Paris en mars dernier, accompagné de Paul Lequesne, traducteur de ses derniers romans, Andreï Kourkov confie son projet à l’éditrice Liana Levi, qui s’engage à ses côtés. La machine est lancée.
« Le 5 avril, je recevais les premiers textes, le 24 avril, je livrais les dernières pages », raconte Paul Lequesne qui bénéficie pour cette traduction express d’une résidence au
Collège International des Traducteurs Littéraires d’Arles, où il était déjà intervenu comme tuteur dans le cadre de
La Fabrique des traducteurs. Par chance, une place est libre. « Jörn Cambreleng, le directeur du CITL, m’a dit « Viens tout de suite ! » et j’ai commencé la traduction dans le train ».
Le CITL, installé dans l’ancien Hôtel Dieu à Arles, propose toute l’année une dizaine de chambres à des traducteurs, pour une durée d’une semaine à trois mois, leur offrant les meilleures conditions de travail. Outre le calme et la bibliothèque ouverte 24h/24h, 7/7 jours, l’endroit est avant tout un lieu d’échange et la cuisine, l’espace privilégié des conversations. Durant ses vingt jours de résidence, Paul Lequesne adopte un rythme de travail intense. Il traduit de 9h à 4h du matin, avec des pauses, notamment les dîners toujours propices à de fructueux échanges professionnels.
Il apprendra notamment à un collègue brésilien qu’il est « impossible de traduire Zola en mangeant des surgelés », ce qui n’est pas le moindre des conseils de traduction… Mais c’est surtout par mail avec Valéry Kislov, traducteur du français vers le russe, que Paul Lequesne échangera sur le Journal de Maïdan. Au rythme de quinze pages par jour, il parvient à tenir les délais, avec des nuits très courtes en fin de parcours et « l’habituelle petite dépression post partem ».
Un livre fabriqué au jour le jour
Parallèlement, au sein de la petite équipe de la maison d’édition Liana Levi, Sandrine Thévenet, Sylvie Mouchès et Lola Nicolle fabriquent le livre au fur et à mesure qu’elles reçoivent les textes. La principale difficulté rencontrée par le traducteur – outre le rythme soutenu – consiste à ne pas adopter « une langue trop littéraire, même si l’écriture de Andreï reste celle d’un écrivain », et à vérifier constamment le fil de l’actualité. « J’allais voir sur les sites russes pour reconstituer certains événements, pour être le plus précis possible. Je faisais beaucoup recherches sur la translittération des noms, vérifiais les termes déjà apparus dans la presse française, etc. » La traduction en allemand se déroule durant la même période, mais « je n’ai pas eu le temps d’échanger avec mon homologue » et celle en anglais, qui vient juste de paraître, a été traduite à partir de la version française, avec l’accord de l’auteur…
Ateliers de traduction pour le public durant les Assises
Entre temps, Paul Lequesne a repris sa traduction interrompue de La ville noire, le prochain épisode des aventures de Fandorine de Boris Akounine, et sera de retour en novembre à Arles pour les Assises de la traduction. Il y animera, en marge des rencontres professionnelles, un atelier pour initier le public aux plaisirs de la traduction, quel que soit le rythme.