Ela zum Winkel est l’une des seize lauréat•es du programme Levée d’encres 2023, qui soutient, grâce à des bourses de recherche, une dimension peu reconnue, presque jamais rémunérée, et pourtant fondamentale du métier de traducteur littéraire : la recherche de voix inédites à traduire. En résidence au CITL du 1er au 14 août 2023, Ela y explorait les écritures théâtrales ainsi que les autofictions, s’intéressant particulièrement aux récits naviguant entre le réel et l’imaginaire, à la mise en scène de soi et du collectif. Elle revient ci-dessous sur cette expérience…
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Champs et hors-champs arlésiens
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Levée d’encres, c’est à partir de cette prémisse que j’entame une résidence au CITL au mois d’août pour découvrir des textes qui mêlent fiction et non-fiction, l’imaginaire et le réel, qui relèvent de la mise en scène de soi et des autres, interrogent sur ce qui les relie, ce qui les sépare – je ne sais pas ce que je cherche précisément, mais cet entredeux m’intéresse
Je me sens enquêtrice, partir pour lire, quoi de mieux
Je lis au fil des hasards, des rencontres, des intuitions parfois inexplicables
Je lis, je note, je traduis, je gribouille
La ville grouille d’images elle aussi, je tombe en plein milieu des Rencontres de la photographie
Je regarde: les images de Diane Arbus, Lucien Clergue, Saul Leiter, Jacques Léonard, Sabine Weiss…
Je devine: ce que l’objectif ne cadre pas, ce qui échappe au regard, ce qui est omis, dissimulé, ce qui précède et succède l’instant
Je note: la frontière entre réalité et fiction n’y est pas plus claire, qu’il s’agisse d’une représentation en images ou mise en mots importe peu finalement
C’est toujours fixer, figer quelque chose
Et, quelque part, permettre l’imaginaire
La mise en scène le suggère, je suis, entre autres, venue pour lire du théâtre. Parmi les pièces que je lis il y a Le Nid de Cendres de Simon Falguières, une longue odyssée, une pièce de treize heures et cet excès, cet amour débordant pour le théâtre et donc pour les gens me touche, cette envie de tout mettre sonne juste
Si le théâtre construit lui aussi une narration, crée des images d’images, une histoire dans l’histoire, il n’est pourtant jamais tout à fait figé, c’est un mythe mouvant, sans cesse réinventé
Figer pour inventer donc, puisque figer c’est aussi conserver, un détail, une lumière, un geste, un visage
Je lis Donato d’Éléonore de Duve et des bribes d’histoire d’un grand-père italien qui, après la guerre, a quitté le pays pour travailler dans les mines belges. Il fait chaud à Arles, j’imagine, plus loin vers le sud, les Pouilles, le labeur sous le soleil écrasant. Comment raconter autrui ? Le livre pose la question et apporte d’éventuelles réponses: les mots de l’un ne sont normalement jamais volés à son prochain. [1]
Et, à la fin,le renvoi aux visages de Lévinas que je retrouve dans Éthique et Infini, je note: ce qui est spécifiquement visage est ce qui ne s’y réduit pas
Lectures, notes, traductions, gribouillages et rebelote
Promenade, je trouve une petite place à l’ombre dans le théâtre antique de la ville. Le temps de lire quelques pages de théâtre ici, des mythes de mythes, parce que le décor s’y prête bien
Tout comme: les berges du Rhône, les navettes au parfum de fleurs, le bleu froid de la mer, j’écoute en boucle la vie Varda pour pouvoir moi aussi marcher sur le sable comme ça, les tilleuls qui se parent de toutes les nuances de vert et les mots d’Agnès pas loin, au LUMA, un jour sans voir un arbre est un jour foutu – Je n’aurais rien contre de figer ces instants-là
Mais le temps, hélas, ne suspend pas son vol – Je repars donc vers d’autres rives, avec des textes qui voyageront, je l’espère, encore un peu avec moi. Encore merci à toute l’équipe d’ATLAS pour la belle échappée.
[1] Éléonore de Duve, Donato, Éditions Corti, Paris, août 2023
Ela Zum Winkel traduit du français vers l’allemand et vice-versa. Elle a suivi une formation de comédienne au Cours Florent à Paris et étudié la traductologie à l’université de Vienne.