Pendant ce mois d’août, le CITL a accueilli en résidence Marta Cabanillas Resino et Nada Issa, deux anciennes participantes aux ateliers français // espagnol de la Fabrique des Traducteurs et français // arabe de La Fabrique Européenne des Traducteurs, en 2013/2014. Avant l’arrivée du nouvel atelier français/coréen de cette rentrée, voici l’entretien qu’elles nous ont accordé et qui retrace leur parcours depuis cette expérience de formation.
// Biographies //
Marta Cabanillas Resino
Marta Cabanillas Resino est née à Madrid en 1978. Après une maîtrise en Filología Hispánica (Lettres Modernes Espagnoles), elle se spécialise en poésie espagnole avec un mémoire sur le poète créationniste Luis Álvarez Piñer dont elle tire l’essai Images du silence : la poésie de Luis Álvarez Piñer (Madrid, éditorial Pliegos, 2010). Après un master en Enseignement de l’Espagnol comme Langue Étrangère, elle part travailler à l’Universitá per Stranieri di Perugia (Italie) comme professeur. À son retour en Espagne en 2006, elle découvre sa vocation pour le monde de l’édition et en fait sa principale activité professionnelle.
Parallèlement à cette activité, elle commence en 2011 à traduire de la littérature jeunesse, de l’italien et du français, et prépare un diplôme post universitaire en traduction littéraire à l’université Pompeu Fabra de Barcelone. Elle contacte alors l’écrivain Ariel Kenig pour traduire son roman Quitter la France, et en fait son sujet de mémoire. En 2013, sa candidature est retenue pour l’atelier français//espagnol de la Fabrique des Traducteurs, elle choisit à nouveau un roman d’Ariel Kenig, Le Miracle. Aujourd’hui, elle concilie l’édition de manuels de langues et la traduction littéraire. Elle a publié une dizaine de traductions. Cet été, pendant sa résidence au CITL elle a travaillé à la traduction du roman Théorie de la vilaine petite fille de Hubert Haddad qui sera publié en Espagne par la maison d’édition Demipage.
Nada Issa
Née en 1983, Nada Issa commence par suivre des études de Lettres Françaises puis un master 1 de linguistique à l’université de Tichrine (Lattaquié – Syrie). En 2008, elle voyage en France pour ses études supérieures. Elle obtient un master 2 en sciences du langage de l’université Lyon 2 en 2009, où elle mène ensuite une thèse intitulée : « Du dynamisme textuel entre esthétique et esthésie : approche sémiotique des stratégies textuelles de la perception d’un texte poétique », qu’elle soutiendra en octobre prochain.
La Fabrique Européenne des traducteurs de 2013 a constitué son premier pas dans le monde de la traduction littéraire, elle avait pour projet de traduction Féerie Générale d’Emmanuelle Pireyre. Après ce programme de formation, elle s’est consacrée entièrement à sa thèse et a obtenu un poste de lectrice en langue arabe à l’École Normal Supérieure de Lyon. Elle recommence cette année à traduire avec une commande de l’ambitieux projet de traduction Kalima à Abu Dhabi. Il s’agit l’ouvrage de Michel Collot, Paysage et poésie du romantisme à nos jours (José Corti, 2005).
CITL : En 2013, vous avez toutes les deux participé à deux ateliers différents de La Fabrique des traducteurs et de la Fabrique Européenne des traducteurs. Vous êtes aujourd’hui résidentes au CITL et donc en contrat avec un éditeur. Quels ont été vos parcours ?
Nada : Après La Fabrique des traducteurs en 2013, j’ai continué ma thèse, j’ai donc dû mettre la traduction entre parenthèses. En fait, avant de participer à ce programme, je ne projetais pas de devenir traductrice. C’est un ami, Emmanuel Varlet, qui m’en a parlé, il me connaissait bien et a senti quelque chose chez moi. Bien sûr la traduction je connaissais car en Syrie les études de Lettres Françaises sont constituées de trois champs : l’histoire de la littérature et de la civilisation française, la linguistique et la traduction. J’avais des doutes quant à mon avenir professionnel. Contrairement à beaucoup, c’est en faisant le programme que je me suis découverte traductrice. Pour moi, cela a été le lieu d’une petite révolution personnelle. J’ai pu aborder le texte différemment, j’ai transformé ma méthodologie tout en utilisant mes outils sémiotiques habituels. Cela a occasionné des échanges passionnants avec les tuteurs et les autres stagiaires.
Marta : Moi c’était le contraire ! Je guettais l’atelier français/espagnol depuis plus d’un an, je rêvais de cette formation malgré mon activité d’éditrice. Je traduisais déjà de la littérature jeunesse, du français et de l’italien, plus spécifiquement ce qu’on appelle en Espagne les “album illustrado”. La Fabrique des traducteurs m’a aidé à confirmer mon projet de faire de la traduction une partie de ma vie professionnelle, mon envie était très sûre. Je tenais beaucoup à cette formation car même si j’avais fait des études il me manquait cette expérience pratique, cela a été un complément essentiel. À l’issue de la Fabrique des traducteurs, j’ai eu plus de travail, un éditeur m’a commandé une traduction de roman jeunesse immédiatement après, cela m’a permis de mettre en pratique tout de suite ce que j’avais appris pendant ces dix semaines au CITL. J’ai depuis publié environ dix traductions, ce qui est encore très peu mais j’avance. J’ai réduit mon temps de travail de moitié pour l’édition afin de me consacrer à la traduction.
CITL : Que vous a apporté spécifiquement à chacune la Fabrique des traducteurs ?
Nada : Un réseau professionnel solide, j’ai gardé le contact avec les tuteurs : Yves Gonzales-Quijano, Marie Tawk, Richard Jaquemond. Ils sont devenus mes parrains professionnels. Par exemple, c’est grâce à Marie Tawk que le lien s’est fait avec le projet Kalima à Abu Dhabi, l’organisation m’a commandé la traduction qui m’occupe durant cette résidence. Et c’est aussi grâce à la Fabrique des traducteurs que je suis résidente au CITL cet été ! Clairement, cela m’a permis d’opérer un changement professionnel, de m’interroger véritablement sur mes principes de traduction, de faire des choix. Les trois tutorats que nous avons eus étaient très différents, cela nous a offert un prisme d’approche très large, chaque tuteur avait son point de vue. C’est un lieu d’expérimentation où l’on ne cesse de fabriquer et de défabriquer. J’ai pu confronter mes idées à celles des autres et donc voir évoluer mon texte considérablement. Je n’y ai traduit qu’un chapitre mais il est devenu l’outil méthodologique auquel je me réfère pour mes traductions.
CITL : Tu as fait des choix, y a-t-il un principe de traduction qui te guide principalement ?
Nada : Oui, la question de la fidélité au texte. Je ne suis pas pour la dictature du texte, le texte original n’est pas un objet sacré auquel on doit un respect absolu. Ma traduction est forcément un autre texte, une réécriture. C’est un autre texte qui s’écrit dans la langue cible avec une re-production de sens. Mais je n’aime pas beaucoup la théorie, d’ailleurs je souhaite de plus en plus m’en libérer, je me base de moins en moins sur les livres de traductologie. Je m’inspire plutôt d’autres livres, comme beaucoup de traducteurs. Par exemple, actuellement, pour traduire Paysage et poésie de Michel Collot, je lis des ouvrages de philosophie en arabe sur l’expérience du monde, sur le corps, l’âme.
L’expérience de la Fabrique des traducteurs reste très présente plus de deux ans après. Aujourd’hui, je commence une carrière à l’université et je souhaite continuer la traduction en plus de l’enseignement et de la recherche mais uniquement pour partager des pensées, des œuvres qui me tiennent à cœur. J’ai également des projets d’écriture dans les domaines de la prose narrative et du théâtre.
CITL : Merci Nada. Et toi Marta, qu’as-tu retiré de cette formation ?
Marta : Cela m’a apporté une grande force, de la confiance en moi et dans mes choix. Avoir fait ce programme te donne aussi « une carte de visite » pour la suite, vis-à-vis des éditeurs. Comme Nada, le travail avec les tuteurs et leurs différentes expériences a été très riche et je garde aussi des relations avec tous. Ce prisme très large qu’ils offrent t’aide à améliorer et à construire ta méthode, et donc à gagner en confiance dans ta pratique. Car en traduisant, il faut prendre des décisions sans arrêt, nous avons des contraintes de temps, il ne faut pas perdre trop de temps à réfléchir, même si cela arrive. La question de la fidélité au texte a été également très débattue, c’est la base pour bien traduire.
Cela m’a aussi apporté une expérience humaine unique. Le groupe fonctionnait très bien et nous avons partagé beaucoup de moments, de références littéraires, etc. Chacun avait déjà un pied dans le monde du livre, en particulier de l’édition, et des parcours très intéressants à partager. Il régnait une ambiance stimulante, une grande convivialité. Pour entrer dans le monde de la traduction, je conseille à tous les traducteurs en début de carrière de participer à La Fabrique des traducteurs. Moi, elle m’a permis d’unifier mon expérience et de me lancer réellement, c’est pourquoi je suis toujours très heureuse de pouvoir en parler.