crédit photo : Pauline Hisbacq |
Daniel, qui es-tu et pourquoi as-tu choisi de résider au Collège ?
Je suis un garçon québécois. Le Québec sombre, en janvier et février, au fin fond du froid. Une amie allemande m’a parlé, début décembre, du Collège d’Arles. On pense immédiatement à la chambre de Vincent, à des fleurs solaires, des nuitées bleues, des terrasses au crépuscule. Début décembre, pour travailler des textes, quoi de mieux que de trouver une chambre à soi, dans un climat propice à l’art? Hibernation et traduction font bon ménage, surtout au sud.
A quand remontent tes débuts dans la traduction littéraire ?
Lorsqu’on grandit à Montréal, il est facile d’apprendre à vivre en traduction. J’ai appris l’anglais d’une Polonaise, et d’amis écoliers anglais, dans la banlieue de Lachine. D’ailleurs, le nom de ma ville natale est une métaphore, ou une blague. Robert Cavelier de Lasalle, ancien seigneur de ces terres, est revenu chez lui sans avoir découvert un passage vers Cathay, et on a rebaptisé une partie de son domaine. Mon patronyme, Canty, est irlandais. Quand je l’ai appris, j’avais déjà immigré à Vancouver, à distance égale et opposée de Paris par rapport à Montréal. J’y gagnais ma vie en écrivant en anglais. Je suis donc un franco-Québécois faussement Chinois qui, par la force des choses, est un peu redevenu Irlandais. L’histoire de mes débuts, que je n’ai comprise que tardivement, éclaire ma décision de traduire des livres découverts lors de mon exil en Anglophonie.
Tu es également auteur et réalisateur, peux-tu nous en dire un peu plus ?
Il est parfois compliqué d’expliquer mon travail. J’aime les œuvres qui inventent leur propre forme. Mon écriture, qui se situe au cœur de ma pratique, est constamment appelée à dialoguer avec d’autres formes d’art. Je réalise des films et des interfaces poétiques et narratives pour le Web et l’interaction publique. Je dirige la conception des collectifs et des traductions que je publie, histoire que leur forme physique entre en dialogue avec les matières du texte. Je collabore fréquemment avec des designers et des artistes visuels. J’ai été dramaturge auprès de Marie Brassard. Dans mon travail, j’essaie de rester fidèle à un impératif d’invention, et à un idéal de partage. J’aime quand la création renoue avec ces émotions fondamentales, ressenties à nos débuts, qui sont celles de nos vertes lectures et de nos jeux les plus mémorables, du temps où la Littérature et l’Art n’étaient que des noms mystérieux.
Tes impressions sur le quotidien au Collège?
Arles a la forme approximative et accueillante d’un haricot. Il est extrêmement facile de s’égarer par les nervures de ses rues. Mais il suffit, pour retrouver son chemin, de se rappeler de la forme générale du haricot. Cela dit, j’ai parfois peur, en rentrant, d’oublier le code d’accès au Collège. Il paraît que cette hantise est commune à tous les résidents. J’oublie rarement l’ancienne vocation curative des lieux. La salle de séjour et la cuisine accueillent des colloques spontanés, parfois arrosés, où nous redessinons la mappemonde. Quand je retrouve ma chambre, je me rappelle qu’elle a l’échelle requise pour l’hibernation souhaitée. Que dire, sinon que cet hiver international est réussi? J’ai d’ailleurs souvenir, au premier matin, d’un touriste Japonais, qui ne semblait rien photographier dans la cour intérieure. Il avait raison. La lumière de l’aube est d’une douceur étonnante. Il en restait une trace dans les airs. Arles est remplie d’images.
L’auteur que tu rêverais de traduire ?
Je vois la traduction comme une lecture ralentie, une sorte d’alchimie par laquelle un auteur fait passer dans son écriture la substance d’un livre aimé. Ce sont surtout des livres que je rêve de traduire. Je ne parle pas italien, mais j’ai lu à répétition Les villes invisibles d’Italo Calvino, publié l’année de ma naissance. J’ai voulu, à une époque, l’adapter pour le Web, en tirer des tableaux, des mondes, que les gens auraient pu visiter en catimini, comme des fantômes. En un sens, je voulais le traduire dans une langue qui n’existe pas encore. Je me souviens aussi, une fois, volant vers Vancouver, d’avoir été vivement impressionné par la langue aqueuse d’Anna Livia Plurabelle, premier extrait publié de Finnegan’s Wake. Quoiqu’on en dise, le livre est bel et bien écrit en anglais. Peut-être que mon Irlandais intérieur aura un jour envie de le traduire librement avec son avatar québécois.
Quelle est ta citation préférée ? Comment la traduis-tu en français, si ce n’est pas une citation en langue française?
Une des résidentes m’a rappelé un mot de Raymond Queneau, que j’adopterai comme devise, si on en était encore à l’âge des blasons : « C’est en écrivant qu’on devient écriveron. » En irlandais intérieur, ça donne : « It’s by writing that one becomes writerly. »
Quelques liens vers les créations de Daniel Canty :