30 novembre 2012
Correspondances I
Très vite, nous creusons des passages secrets entre les textes sur lesquels nous travaillons. À première vue, cette semaine, les tunnels les plus directs mènent du Journal d’un corps de Daniel Pennac, vers Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir et Les Adolescents troglodytes d’Emmanuelle Pagano. En affirmant ceci, je ne prétends pas à établir, sur un plan général, des liens artificiels entre ces trois textes, qui, à vrai dire, ont peu de choses en commun. Mais je me permets d’observer que dans le processus de traduction de ces ouvrages, en tant que traducteurs, nous avons à faire à un certain nombre de préoccupations communes à nos auteurs, qui font qu’ils suivent (et nous avec) des sentiers lexicaux similaires.
Le corps (et le sexe) humain – ses fonctions vitales, ses transformations et les évolutions par lesquelles il passe, en est la première. Dues à chaque fois à une autre raison, ces transformations sont ainsi motivées par l’âge chez Pennac, par un changement de sexe et d’identité chez Pagano, et un changement d’époque (et de paradigme?) chez Beauvoir, qui, en plus d’analyser la condition féminine à travers les siècles, cherche à déconstruire le regard que l’humanité, ou du moins une partie de celle-ci, porte sur le corps féminin.
En résultent des rencontres insoupçonnées entre une matrice dont parlera Beauvoir, une première expérience du vagin que décrira avec brio Pennac et une fente que souhaite avoir un être en pleine recherche de son identité sexuelle, chez Pagano. De ce fait, des termes très précis liés au corps humain sont au répertoire cette semaine.
(Ici, et probablement parce qu’on y tient, le texte de Dezulovic, sur lequel travaille Samuel fait, de loin, un clin d’oeil aux nôtres. Les protagonistes de sa nouvelle intitulée Smrt (La mort), tous descendants d’une même famille, se déguisent en femmes. La raison de ces transformations temporaires est bien plus « prosaïque », c’est qu’elles permettent de fuir la guerre. Nous finissons la semaine avec un extrait de Dubravka Ugresic traduit par Thibault situant le sexe féminin dans un monde de mâles balkaniques qui le rend crû.)
La deuxième préoccupation (que l’on ne cherchera pas forcément à creuser dans ces lignes), est celle de l’identité. Elle englobera non seulement les trois textes cités en début du blog, mais permettra de correspondre avec les trois autres textes traduits au sein de cette Fabrique, à savoir la Poglavnikova bakterija de Boris Dezulovic, Kultura lazi de Dubravka Ugresic et un choix de textes analytiques rédigés par des scientifiques serbes et croates et traduit par Marie.
Correspondances II
Une autre couche de correspondances-coïncidences, au niveau micro, s’est affirmée progressivement au cours de ces deux dernières semaines. Ainsi, Thibault, le traducteur d’Ugresic est tombé sur le terme de « krupni kadar » (gros plan) quand moi, j’étais en train de traduire un passage évoquant « un plan américain ». Jelena a eu à faire à une scène où son héros parle de son doigt cassé qui nécessite une attelle, alors que ma protagoniste a rendu visite à son frère qui s’est cassé le doigt et a fini à l’hôpital avec son index blessé (et également soutenu par une attelle). En résultent des questions similaires sur la traduction de mots tels que plan, attelle, ou de verbes et de substantifs qui permettent de décrire avec précision un partie du corps en position de handicap.
Correspondances III
En mai de cette année, Eric Faye que j’ai eu l’occasion de traduire en croate est venu à Belgrade à l’occasion de la présentation de la version serbe de son dernier roman, Nagasaki. En parlant de son oeuvre, il a évoqué l’existence de passages secrets entre ses propres textes. Cela m’a plu comme idée. J’ai remarqué que le même type de passages secrets existent dans les textes d’Emmanuelle Pagano, chez qui, par exemple, un personnage secondaire des Adolescents resurgira quelques années plus tard comme personnage principal dans un récit faisant partie du recueil Un renard à mains nues. Ces passages secrets sont en fin de compte une chose universelle, on en trouve chez presque tous les auteurs. Ces quelques paragraphes rendent hommage à nos petits passages secrets à nous.