Déjà trois semaines à la Fabrique : bilan d’étape, questionnements et temps forts.
Depuis le 2 septembre, le CITL accueille la Fabrique des traducteurs, atelier français//chinois.
Ce premier changement de tuteurs nous donne l’occasion de faire un “bilan” (rien de trop sérieux non plus, ni autocritique, ni dénonciations) de ces trois semaines passées à la Fabrique. Avant que ne commence le programme, chacune de nous (je parle au nom de la moitié française de l’équipe) s’est longuement interrogée sur la manière dont s’organiseraient les journées.
En arrivant sur place, nous avons compris qu’elles seraient ce qu’on en ferait : aucune contrainte, des horaires ajustables, la possibilité de travailler seul, à deux, à trois, etc. Terrible tentation pour le traducteur ! Lequel d’entre nous ne rêve pas de se trouver un petit coin bien tranquille derrière un rayonnage pour se plonger à corps perdu dans son texte, ne relevant la tête que pour feuilleter frénétiquement un dictionnaire de synonymes ou, de loin en loin, répondre à l’appel de son ventre ? La tentation était trop forte : nous cédâmes.
Trois semaines durant, un calme délicieux régna dans la belle bibliothèque du CITL. Il y eut bien quelques tentatives de rapprochement, à l’occasion de problèmes de compréhension ou d’aveu d’impuissance à rester seule avec son texte ; mais, la plupart du temps, chacune resta retranchée derrière ses positions, profitant régulièrement d’un face à face avec la tutrice francophone, Sylvie Gentil. Je ne condamne en rien ces entretiens : le plaisir de pouvoir bénéficier d’un autre regard que le sien sur un texte lu, relu et re-relu n’a pas de prix, et ces séances se sont révélées plus que productives. Simplement, il est plutôt rare de se retrouver pendant dix semaines en compagnie de traducteurs sinophones tout aussi disponibles que soi. L’envie d’un vrai travail de groupe, à même d’être mis en place de par la configuration de la Fabrique, s’est donc fait de plus en plus sentir. Le début d’un nouveau cycle nous place aujourd’hui face à nos attentes : à nous de jouer des nombreuses possibilités qui s’offrent à nous en termes d’échanges afin d’en tirer davantage parti – et de ne surtout avoir aucun regret.
Lucie
Quand à moi, ça y est, je viens de comprendre ce que la Fabrique était pour moi. L’organisation du travail est donc libre, autrement dit, c’est à nous de nous organiser.
Dès le premier jour, on se met à travailler chacun sur son texte. Les tuteurs sont là. On n’hésite pas à se poser mutuellement des questions, même si spontanément on travaille seul. Les françaises plus que les chinois.
Je travaille sur mon texte. Comment suis-je sensée travailler ? Devrais-je solliciter plus les gens qui sont autour de moi ? Et je vois travailler Sylvie. Elle travaille en silence. Elle lit. Elle annote. On discute un instant. Pas besoin de plus. Et je repars seule, sur mon texte. Cette façon me convient bien.
J’ai décidé de changer de texte au bout de ces trois semaines. Le premier est un témoignage, brut, son écriture lourde et répétitive, les phrases bourrées d´informations, les faits racontés difficiles à situer dans le temps. De ce fait, il est horriblement difficile à traduire. Si bien qu’il faut le réécrire pour en faire un texte lisible en français. Réécrire, simplifier, couper et recouper. Mais de quel type de traduction s´agit-il là ? Et quel type de travail est-ce là qu’il remette à ce point en question à chaque phrase, à chaque groupe de mots le travail du traducteur ? Moi qui souhaitais avant tout rendre ce témoignage brut, j´en suis venue à m´éloigner de l´original, à le lâcher, pour réorienter la réécriture de ce texte en faisant de la lecture publique à venir le socle de mon texte français. Exercice extrêmement riche. Pourtant, après un an passé sur ce travail, j´avais besoin de souffle. Je change donc de texte. Il m´est bien difficile de me défaire du premier. D´en aborder un autre, nouveau. Quelques jours de flottement… Mais enfin, après tant de concentration sur le français, je repars sur le chinois, prête à harceler mes camarades de questions, et curieuse de découvrir la façon dont travaillent nos nouvelles tutrices !
Claire
Et puis en Provence la vie scientifique et littéraire est riche, et la fin de semaine dernière nous a apporté la visite de Mo Yan, prix Nobel de littérature 2012, rien que ça !
Les réjouissances ont été marquées par deux temps forts : tout d’abord un colloque hébergé par l’Université Aix-Marseille sur l’œuvre de Mo Yan, puis une visite de l’écrivain et une conférence au Collège, en Arles. Lors du colloque se sont succédé les interventions et, pour notre plus grand bonheur, on a beaucoup évoqué la question de la traduction, notamment dans les interventions de Sylvie Gentil et d’Anna Chen, traductrice venue de Stockholm. Il est toujours très intéressant, en tant que jeunes traductrices, d’avoir ainsi accès à l’expérience concrète de nos aînées, qu’il s’agisse des relations avec l’auteur, des difficultés inhérentes à la traduction de l’onomastique chinoise (que l’on rencontre tous) ou de l’évolution des outils de recherche et autres dictionnaires (pas mécontentes de traduire à l’ère d’internet !).
Puis, le samedi Mo Yan est venu jusqu’à nous pour une rencontre fort sympathique, emportés par l’humour et la répartie du grand écrivain, alors qu’il faisait remarquer à Monsieur le maire, qui venait d’évoquer son propre passé maoïste, combien il était surprenant qu’un révolutionnaire ait célébré, l’après-midi même, un mariage… ! La soirée, poursuivie autour du verre de l’amitié, s’est terminée dans les fauteuils confortables du deuxième étage, et sur la terrasse où le prix Nobel, les traducteurs et toute l’équipe ébahis admiraient les chars du corso en mangeant de la soupe de pastèque !
Eva