Dans le cadre du projet Archipelagos, porté par ATLAS et co-financé par le programme Europe Créative de l’Union européenne, la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur et La Sofia, le traducteur Benoît Meunier a effectué une résidence d’exploration de deux semaines au CITL.
Après Anna Biłos, Dionys Décrevel et Lola Maselbas, nous vous proposons de découvrir son parcours, sa démarche et ses méthodes de recherche, à travers cet entretien effectué lors de sa résidence, en avril 2024 :
Arles en résidence. Se perdre au jeu du dédoublement
Benoit Meunier est traducteur du tchèque au français. Il vit à Prague depuis vingt ans, où il enseigne et traduit des romans, de la poésie, des bandes dessinées, ou encore des livres pour enfants pour divers éditeurs. Il écrit aussi de la poésie. Il a réalisé sa première résidence de traduction dans le cadre du projet Archipelagos, du 3 au 18 août 2024, et tente ici de répondre à des questions qu’il se pose à lui-même, et de faire le point sur cette belle expérience.
“Je n’en finis pas de faire des découvertes.”
Que signifie Arles, pour toi ?
C’est une ville que je porte en moi et qui ne m’a jamais quitté. Et, plus qu’une ville, ce sont des couches, des strates. Il y a bien sûr les couches extérieures, ces millénaires de pierres qui s’amoncellent, blanches, sèches et qui donnent presque l’impression de se liquéfier avec le temps. Il y a les strates culturelles : la Provence, la Camargue, la Méditerranée. Mais aussi la culture avec un grand « K » : le Collège des traducteurs, les éditeurs, les libraires, les galeries, les Rencontres internationales de la photographie… Ça fait beaucoup pour une ville qu’on peut parcourir à pied en un quart d’heure.
Et puis il y a les strates intérieures. Je venais à Arles quand j’étais gosse, chez mon oncle et ma tante. On allait jouer aux Alyscamps, à l’époque, l’entrée était libre. J’étais fasciné par la Camargue, cet extrême bout du Rhône, du monde. Mon oncle avait sa manière obsessionnelle et drôle de peindre la ville. Ma tante me parlait déjà du Collège des traducteurs et d’Actes Sud. Ils sont tous les deux encore très présents pour moi. J’adore revenir à Arles, circuler parmi ces couches. Je n’en finis pas de faire des découvertes.
C’est ta première résidence ? Tu étais déjà venu à Arles comme traducteur ?
Oui, c’est ma première résidence comme traducteur, pour deux raisons : je vis depuis vingt ans à Prague, dans le pays dont je traduis la littérature, et je n’ai donc aucune raison d’y faire une résidence.
Et puis j’enseigne à mi-temps pendant l’année scolaire, de sorte que je suis peu disponible. Du coup, je n’avais jamais postulé. Mais j’ai été motivé par Czechlit, une institution qui soutient les traducteurs du tchèque et que je remercie ici chaleureusement.
En revanche, j’étais déjà venu à Arles en tant que traducteur en 2019 pour animer un atelier lors des Assises. Le thème était « De l’humour en traduction » et je présentais ma traduction des Aventures du brave soldat Švejk, de Jaroslav Hašek (Folio, 2018).
Qu’est-ce que cette résidence t’a apporté ? Quels étaient tes axes de recherche ?
J’étais libre de choisir des textes à présenter aux éditeurs, de faire de la « prospection ». Comme j’étais inquiet, j’avais un peu réfléchi en amont aux directions à prendre. Au final, je présente quatre textes principaux : un inédit de Hrabal et des nouvelles de Hašek pour les textes anciens ; un récit en vers de Novotný et des nouvelles de Hořava pour les textes récents. En creusant tous ces textes, en préparant des extraits et des fiches, je me suis rendu compte qu’ils avaient presque tous un point commun : une écriture poétique et mémorielle avant tout. J’ai aussi travaillé sur des recueils de poésie contemporaine et des romans des années 1970-1980, mais le nombre de dossiers à remettre est limité.
Pouvoir passer son temps à lire, choisir et préparer des textes, c’est un luxe considérable, car c’est une activité qui prend du temps, qui n’est d’habitude pas rémunérée et que je peux difficilement pratiquer pendant l’année. Quand je fais des fiches de lecture pour les éditeurs, ce sont en quelque sorte des commandes que je prends ou que je ne prends pas. Là, c’est moi qui vais chercher ce que j’aime, indépendamment de l’aspect rentabilité.
Il y a aussi un aspect qui a été très important pour moi pendant cette résidence : la prise de contact avec la librairie L’Archa des Carmes, spécialisée dans la poésie contemporaine, qui m’avait été recommandée par l’éditeur de mon dernier recueil. Pour un poète, ce n’est pas une librairie, c’est un trésor.
Dans la pratique, comment s’est passée la résidence ?
J’ai obtenu une bourse de l’Union Européenne dans le cadre du programme Culture Moves Europe, ce qui me permettait de ne pas me soucier de l’aspect financier. La première semaine, j’étais hébergé avec ma femme et ma fille dans l’appartement de la rue des Arènes, c’était très confortable. J’ai travaillé à mi-temps, et je me suis rattrapé pendant la deuxième en passant tout mon temps à la bibliothèque du CITL, qui est ouverte 24/24 h. J’ai fait la rencontre de plusieurs collègues, eux aussi en résidence au CITL : des traductrices du chinois, du japonais, un traducteur iranien et sa femme… On a passé pas mal de temps ensemble, au final. Et avec l’équipe d’ATLAS, qui est très disponible et très sympa.
“Je sais que les textes que j’ai choisis me porteront”
Et maintenant ?
Je reviens à Arles au mois d’octobre pour lire un des textes sélectionnés lors des 41es Assises de la traduction littéraire, avec d’autres résidents Archipelagos et sous la direction d’un metteur en scène. Même si je ne suis pas comédien, je sais que les textes que j’ai choisis me porteront. Et puis, dans les mois qui viennent, je vais contacter des éditeurs avec les dossiers que j’ai préparés. Pour certains livres, je sais que la partie n’est pas gagnée, car ce sont des formes courtes ou poétiques, mais qu’importe, le jeu en vaut la chandelle. Et j’espère bien revenir un jour en résidence au CITL…
Retrouvez le portfolio de Benoît, et le fruit de ses recherches, sur archipelagos-eu.org/translators/
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À propos d’Archipelagos
Archipelagos est un projet triennal, financé par le programme Europe Créative de l’Union européenne, lancé en janvier 2024. Porté par ATLAS, en collaboration avec 11 partenaires, il a pour objectif de mettre en lumière, auprès des lecteurs et des professionnels du livre, la diversité des voix littéraires d’Europe et le travail d’exploration mené par les traducteur.rices littéraires.