Banafsheh Farisabadi © Olivia Borne ALCA Nouvelle-Aquitaine
Banafsheh Farisabadi, traductrice, poètesse et artiste iranienne, nous livre ce texte intime sur son parcours en résidences d’écriture et de traduction entamé en octobre, ainsi que میقات (“Sablier”), poème écrit en persan et traduit par ses soins en français.
Un grand merci à elle !
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Vivre la solitude en collectivité
Depuis mon arrivée en France en octobre, j’ai eu la chance de vivre ma solitude tout en découvrant les différentes facettes du paysage français : la mer, la forêt, les prairies et la vie citadine. Cette expérience a été à la fois précieuse et singulière pour moi, habituée à une vie urbaine bruyante et dépourvue d’intimité, sauf chez soi. La vie à Téhéran est difficile mais passionnante. C’est un peu comme vivre un cauchemar composé de vos plus beaux rêves ; une sorte de paradoxe entre la beauté et la complexité. En tant que poétesse, j’ai toujours trouvé mon inspiration au coeur de l’agitation et du tumulte. Écrire et créer dans la nature, en écoutant les murmures de mon âme, était un luxe que je n’avais jamais connu. Ma vie littéraire s’est déroulée dans l’effervescence des rues et les transports en commun. Mais malgré ces défis, Téhéran reste ma belle ville grise pour toujours.
Dans le cadre de ce projet d’écriture et de traduction, je m’efforce de transposer mes poèmes en français. La poésie pour moi est une nécessité de vivre, donc écrire n’est pas quelque chose de nouveau. Mais en termes de traduction, il faut dire que c’est la première fois que je me traduis. C’est à la fois difficile et compliqué, mais rempli de créativité et de nouvelles découvertes dans la langue. Je compare les capacités des deux langues et j’expérimente les défis fascinants de traduire ce que je rêve dans ma langue maternelle, comme avoir la possibilité de rêver à nouveau quelque chose dans une autre langue.
Ma résidence a débuté à Cassis, à la Fondation Camargo, avec une belle vue sur la mer. Passionnante, hallucinante ! Je me suis nourrie des voix des vagues de la Méditerranée et de la rage du Mistral. Ensuite, je suis partie pour une courte résidence de quinze jours à la Maison Julien Gracq, dont le silence et l’immobilité, notamment en décembre, m’ont profondément inspirée. Les plaines vertes pluvieuses que je fixais pendant des heures, le courant de l’eau de la Loire, tout cela m’a véritablement marquée.
L’étape suivante était le Collège International des Traducteurs Littéraires d’Arles. Cette ville merveilleuse où je me sens chez moi. La ville qui me ressemble le plus, la ville où je rêve le plus, la ville où je vis le plus profondément mes rêves, mes poèmes et même mes cauchemars. C’est une ville qui m’enlève le masque d’étrangère, c’est peut-être pourquoi à chaque départ d’Arles vers n’importe où, je sens que je quitte ma maison à nouveau. La couleur d’Arles est celle qui me ressemble le plus, l’orange mélangé avec un peu de marron, le jaune moutarde et le bleu.
Le Chalet Mauriac, à Saint Symphorien, où je réside actuellement, est la dernière résidence d’écriture de mon périple. Ici, je respire la forêt, je partage ma solitude intérieure avec le petit écureuil roux sur l’arbre devant ma fenêtre. Le soir, on peut entendre les arbres chuchoter, et les étoiles… ces merveilleuses étoiles avec leurs belles gestuelles dans le noir profond du ciel de la forêt.
“Pour comprendre le monde, il faut parfois se détourner; pour mieux servir les hommes, les tenir un moment à distance”, a dit Albert Camus. Cette citation résonne profondément en moi, car je réalise que cette solitude profonde est un autre aspect de ma vie d’artiste. Un aspect qui mène vers un nouvel univers poétique et littéraire.
Mes préoccupations restent les mêmes qu’avant, mes idées sur la littérature peut-être restent pareilles qu’avant, mais je me demande si c’est dans les profondeurs de cette individualité que je pourrais vivre plus pleinement la vie en collectivité à travers mes poèmes.
⎼ Banafsheh Farisabadi
À lire aussi : “Banafsheh Farisabadi en résidence au Chalet Mauriac durant l’hiver et le printemps 2024” sur le site de l’ALCA Nouvelle-Aquitaine