Le Pâté de pommes de terre
Recette traditionnelle du Berry
(terre de contrastes, patrie du fromage de chèvre et de Georges Sand)
Quérir tout d’abord au marché ou au jardin un bon kilo de bonnes pommes de terre — de la Belle de Fontenay, ou mieux encore de la ratte, (mais en ce cas la cuisson peut être un peu plus longue), à défaut de la bête charlotte (bio nécessairement). Les éplucher, les couper en fines rondelles et préparer comme une salade de pommes de terre crues, avec sel, poivre, et éventuellement une échalote émincée (sur l’échalote — ou l’oignon — les avis, cela dit, sont très partagés ; deux partis coexistent péniblement, celui de ma grand-mère Marie (résolument contre) et celui de ma grand-tante Suzanne (résolument pour), l’une et l’autre arguant de l’autorité de mon arrière-grand-mère sur le sujet (en fait, je pense qu’on met de l’échalote simplement si on en a sous la main), et surtout un gros bouquet de persil coupé menu.
Attention, c’est là un point crucial et fondamental ! Toute recette de pâté de pommes de terre où ne figurerait pas le mot « persil » devrait vous faire doucement rigoler. L’ingrédient essentiel de ce plat fruste et néanmoins subtil, ce n’est point la pomme de terre, comme on pourrait trop précipitamment le croire, c’est le persil, un point c’est tout.
Mais poursuivons : on touillera soigneusement tout cela, puis on le laissera en paix, le temps de préparer la pâte brisée, laquelle est tellement simple et rapide à préparer que jamais, au grand jamais on ne s’abaissera bien sûr à l’acheter toute prête et emballée.
400g de farine, 200g de beurre, un peu d’eau, une pincée de sel, le tout mélangé du bout des doigts et promptement pétri — et voilà. La pâte brisée, rappelons-le, ne doit pas être travaillée longuement.
Pendant que la pâte repose, on beurrera et farinera un moule à tarte d’honnête taille (disons 22 cm de diamètre), puis l’on mettra le four à chauffer à 210°C, avant de se servir un bon verre de chateaumeillant et de le déguster avec lenteur, car après tout on a beau être traducteur, on n’est pas pour autant des bœufs.
L’important, à ce stade de la préparation, est de se sentir bien calme et détendu.
Prendre alors un peu plus de la moitié de la pâte. L’étaler au rouleau et foncer le moule en veillant à ce que la pâte en déborde d’au moins deux centimètres.
Garnir avec la salade de pommes de terre crues préalablement égouttée, tout en glissant ici et là quelques noisettes de beurre, sachant que plus il y en a, mieux c’est, mais qu’il ne faut tout de même pas exagérer.
Étaler le reste de pâte et s’en servir pour recouvrir le tout.
Souder les bords de la tourte, puis découper à deux centimètres du bord du moule, avant de plier et replier la pâte entre ses doigts sur tout le périmètre de la chose, de manière que l’ensemble soit à la fois hermétique et joli à regarder. Ensuite, un jaune d’œuf additionné de quelques gouttes de lait ira badigeonner le couvercle qu’on aura soin de décorer ensuite de délicats motifs de son choix tracés de la pointe d’un couteau.
Subtilité : au milieu de la tourte, on ménagera un trou où l’on insérera un petit tube de papier fort.
Puis enfourner le pâté et le laisser cuire au moins 50mn. Quand la croûte est bien dorée, c’est prêt, mais ce n’est pas encore terminé.
Une fois le pâté sorti du four, verser délicatement par le tuyau de papier 20cl (au moins) de crème fraîche liquide. Cette opération peut intimider parfois le facteur de pâté débutant. Il convient donc savoir qu’il est possible de procéder autrement, à la manière de mon oncle Pierre (le mari de Suzanne, qui n’était d’ailleurs pas du Berry mais de Gennevilliers) : il faudra alors sortir le pâté du four, le démouler sur un plat, puis découper virilement le couvercle, le soulever, le temps d’étaler la crème sur les pommes de terre, et le remettre en place avec soin.L’avantage de cette dernière méthode, certes moins élégante et raffinée que la première, est de permettre de s’assurer que les pommes de terre sont bien tendres.
Servir ensuite rapidement, de manière que la crème n’ait pas le temps de cuire.
Paul Lequesne