Les matinées sont consacrées à une seule traduction. (Il avait fallu d’abord, avec Paul-Valéry, lancer la Fabrique, faire vivre les traductions par nos reprises, tenir en haleine nos travaux ; à présent la Fabrique a pris son rythme de croisière et nous voguons tranquillement vers les nouveaux horizons que dégagent nos textes, contemplant leurs nouveaux éclairages tandis que, dehors, la lumière change aussi avec les jours).
Nous avons découvert la force du taureau, toute dans ses épaules, parcouru les couloirs cacophoniques de l’internat du Conservatoire, approché le crime, retrouvé notre comédienne névrosée, pénétré dans le bureau de Cathy, l’héroïne de Paule Constant.
Il y a dans ce bureau « le responsable juridique du contentieux, un énorme crapaud beige qui garde l’entrée derrière son bureau, où s’arrêtent la plupart des visiteurs ».
Et ce crapaud, il lui faudra, à Cathy (le lecteur l’apprend plus tard), l’embrasser tous les matins en arrivant.
Mais le crapaud, en russe, est féminin. La grenouille aussi…
Et ensuite, comment un crapaud peut-il être beige ? Mais c’est qu’en français, dirons-nous, un crapaud beige n’est pas chose courante, il est ici grotesque. Il est probablement vêtu d’un costume beige.
Nous en venons à l’éternel constat : c’est étrange en français, recréons donc de l’étrange en russe !
Oui, mais : le mot « beige » en russe est emprunté au français, et sonne comme un terme raffiné. Si nous traduisons « crapaud beige » par «бежевая жаба», notre crapaud sera bel et bien étrange, mais d’une étrangeté qui n’est pas celle que nous cherchons.
Dans la version russe, c’est donc un « gigantesque crapaud marron » («гигантская коричневая жаба») qui garde la bastide de Palance.