Séjourner au Collège des traducteurs et participer à ses séances de travail, c’est en apprendre sur soi-même, par sa manière de traduire et d’interpréter un texte.
Participer à un séminaire bilingue, c’est formidable et terrifiant à la fois – surtout au début – du fait de la quantité d’informations dégagées, tantôt lumineuses tantôt contradictoires, sur un texte qu’on croyait connaître sur le bout des doigts et que nos petits camarades ou collègues voient soudain d’un autre œil. Les idées fusent, rares sont les moments de silence – même si certains se cachent derrière leur ordinateur pour dormir, prétendant traquer la citation originelle plagiée par l’auteur ou dénicher une image subtile permettant d’expliquer un procédé scientifique inconnu de tel ou tel traducteur.
Chacun vient avec son expérience, ses connaissances, ses préjugés sur la langue, ses tics de traduction, sa perception psychanalytique ou onomatopéique et repart avec de nouvelles trouvailles, des conseils, du soutien et l’envie d’aller plus loin dans sa traduction. Ou. Se sent écrasé par le poids du savoir contenu dans cette bibliothèque dont les livres disponibles 24 h / 24 restent cependant inaccessibles, car qui peut absorber la moitié d’un rayonnage pendant la durée de son séjour, alors qu’il faut réfléchir à son texte, le corriger, l’améliorer, éplucher celui des autres, éventuellement travailler en soirée et puis, au bout du compte, s’aérer les neurones afin de pouvoir recommencer le lendemain l’esprit clair. Qui ?
Habiter à l’étage supérieur du CITL, c’est bénéficier d’une vue imprenable sur la cour de l’ancien Hôtel-Dieu et ses couleurs et son aménagement saisonnier charmant – pour les résidents côté cour – ou subir une soufflerie intempestive laissant penser aux résidents côté jardin qu’ils assistent au décollage d’un engin aérien poussif, cependant que des effluves nauséabondes en provenance des waters leur remontent aux naseaux.
Habiter à l’étage supérieur du CITL, c’est apprendre à vivre en communauté et apprécier la complémentarité bien pratique des caractères. Il y a ceux qui aiment cuisiner et ceux qui préfèrent vider le lave-vaisselle. Il y a ceux qui fument et ceux qui achètent des cigarettes. Ceux qui jouent du violon alors que les autres prennent l’apéro. Ceux qui se lèvent tôt pour éviter d’avoir à saluer les autres au petit-déjeuner et ceux pleins de bonne volonté qui se ruent à la boulangerie pour offrir des calories aux cerveaux bientôt sollicités par des textes toujours délicats ou exigeants.
Arpenter Arles, c’est aussi, et enfin, marcher sur les traces de Van Gogh. Pour moi, c’est un privilège que d’évoluer dans des tableaux qui m’ont fait rêver petite. C’est un privilège de passer des heures sous le plafond qui a vu Vincent respirer, s’agiter, délirer, transpirer, peindre, etc. Sans être fanatique du personnage, je suis parcourue d’émotions quand je détache mes yeux d’un dictionnaire pour les fixer sur les poutres là-haut, sur les caissons qui ont connu tant de crachats et de dérangés, et qui encaissent depuis sans rien dire, tant de secrets, de chuchotements, de complaintes et de traits de génie.
Séjourner à Arles, c’est s’inspirer de la couleur du Sud et de sa pierre, s’imprégner du soleil avant de repartir à Berlin ou ailleurs, s’arrêter sur la place du forum et se faire avoir avec une salade pas bonne et outrageusement chère – mais qui n’a pas voulu, jamais, s’asseoir au Café de la nuit et s’imaginer faire partie des meubles, entrer discrètement dans la fiction, le rêve ?
Mon épiphanie, je l’ai trouvée à la tombée du jour, sous un ciel lavande à gymnaster devant le faux pont de Langlois. C’était ma première fois sur le lieu, et pourtant il m’était familier. J’avais l’impression étrange de le connaître depuis toujours. J’y ai mangé des figues fraîches et savouré les angles de vue, les filaments de couchant dans le ciel et leurs reflets dans le canal, c’était un moment très privé. Une tranche d’éternité. Mauve et sereine.
De fait, la Gilsbraude remercie ViceVersa, le CITL et tous les autres sponsors… 🙂