Après avoir séjourné pour la première fois au Collège de traducteurs Looren à la rencontre des éditeurs helvètes, puis en résidence au Literarische Colloquium Berlin avec une participation à la “Nuit de la traduction” organisée par l’Institut français le 26 janvier, les jeunes traducteurs du programme Goldschmidt 2017 prennent leurs quartiers au CITL d’Arles. Du lundi 13 février au lundi 6 mars, ils poursuivent avec Marie-Ange Roy la traduction des œuvres qu’ils ont choisi de partager dans leurs pays.
Les dix traducteurs Français, Allemands et Suisse, sélectionnés pour la session 2017 du programme Goldschmidt, viennent d’horizons très différents et arrivent à la traduction littéraire par des voies aussi diverses que l’architecture, le commerce, le théâtre ou encore les sciences politiques. Selon leur tutrice, cela explique la diversité des styles d’écriture des textes qu’ils ont choisis, même si beaucoup abordent des problématiques sociales et politiques passées et actuelles.
Au long de ces dernières semaines, ils ont su développer une dynamique collective très forte. Des tandems de travail se sont formés librement, mais le soir, après les séances de tutorat, les textes et les questions continuent de circuler des uns aux autres. Curieux et d’une grande exigence de compréhension, ils cherchent toujours à aller au fond des choses. Leur sensibilité littéraire et leurs points de vue sur leur langue, et sur comment on passe d’une langue à l’autre, témoignent d’une grande maturité. Ainsi, Marie-Ange Roy a le sentiment d’avancer avec eux dans un réel partage, et les voit déjà futurs traducteurs et traductrices professionnels.
De ces différents horizons partagés, chacun présente le livre qu’il traduit et les raisons de son choix.
Les traducteurs et leurs textes
Vers l’allemand
Les lectures de l’atelier
• Lundi 6 mars au CITL à 18h30
• Mercredi 8 mars à Paris (lieu et horaire à confirmer)
Nuit de la traduction
Le 26 janvier 2017, l’Institut français d’Allemagne à organisé la Nuit de la traduction.
Au programme : NEUE GENERATION – Ein tête à tête mit dem Goldschmidt-Programm
Dans la perspective de la Foire du Livre de Francfort et le cadre d’une année française en Allemagne, les questions relatives à la problématique de la traduction permettent d’interroger la circulation des idées, dans la relation franco-allemande, l’espace européen.
Un repas en hiver, d’Hubert Mingarelli (Éditions Stock, 2012), traduit par Yvonne Eglinger
Un repas en hiver raconte l’histoire de trois soldats allemands pendant la Seconde Guerre mondiale basés en Pologne qui dépistent un juif polonais et doivent décider s’ils veulent le livrer aux autorités allemandes.
À mon avis ce récit est très réussi par son style à la fois poétique et oral (il est raconté à la première personne) et par la psychologie des personnages qui me semble très réaliste et compréhensible. On se sent proche des trois hommes et c’est aussi la raison pour laquelle leur décision finale est une sorte de surprise pour le lecteur.
J’ai beaucoup aimé le style de Mingarelli et je voudrais bien restituer en allemand son écriture qui est à la fois belle mais qui ne dévoilent pas tout. Je pense que la traduction serait un défi gratifiant.
Mingarelli est déjà reconnu en France avec une œuvre considérable encore à découvrir en Allemagne. J’espère que les éditeurs allemands vont enfin porter leur attention sur cet auteur.
La Douleur, d’André de Richaud (Éditions Grasset, 1931), traduit par Sophie Nieder
La Douleur d’André de Richaud fut publié pour la première fois en 1931 chez Grasset. Le roman se déroule pendant la Première Guerre mondiale dans un petit village de Provence. Il raconte l’histoire de Thérèse Delombre, veuve de guerre esseulée aux désirs inassouvis, et de son fils de dix ans, Georget. Un jour, trois prisonniers de guerre allemands arrivent au village. Thérèse entame une relation avec l’un d’eux : cela ne peut que mal se terminer. De son côté Georget, très sensible, se sent soudainement délaissé par sa mère avec qui il entretenait jusqu’alors une relation fusionnelle.
À seulement vingt ans, André de Richaud offre au lecteur une critique sociale sans concession. Son style est dense et imagé. Les descriptions, à la fois poétiques et sombres, reflètent l’atmosphère étouffante du village et les passions souterraines, dissimulées sous sa surface calme et paisible. Le style de l’auteur, original pour son époque, représente le défi principal de cette traduction : laisser transparaître le style singulier de l’auteur tout en inscrivant le texte dans le langage des années 1930.
En tant que traductrice, j’aime recréer ce rythme en allemand. Richaud joue sur la longueur des phrases pour produire des effets de cadence qui soulignent la grande musicalité du texte. À mes yeux, La Douleur est un livre important par sa qualité littéraire mais également pour sa réception. La Douleur a en effet causé un véritable scandale lors de sa parution. Il a failli être récompensé du Prix du premier roman. Alors que tout le jury reconnaissait son talent, certains jugèrent le livre trop immoral. Mais comme Richaud était le seul candidat digne du prix cette année-là, la décision fut prise de ne l’attribuer à personne. Joseph Delteil entame alors une polémique et prend sa défense. L’attention que reçoit Richaud suite à ce débat public sur son roman compense le prix manqué.
Il s’agit par ailleurs du livre qui a donné à Albert Camus l’envie d’écrire. Il écrit dans une préface : « La Douleur […] dénouait au fond de moi un nœud de liens obscurs, me délivrait d’entraves dont je sentais la gêne sans pouvoir les nommer. Je le lus dans une nuit, selon la règle, et au réveil, nanti d’une étrange et neuve liberté, j’avançais, hésitant, sur une terre inconnue. Je venais d’apprendre que les livres ne versent pas seulement l’oubli et la distraction. […] La Douleur me fit entrevoir le monde de la création.»
J’aimerais non seulement faire découvrir au public allemand ce « classique oublié », mais aussi son auteur. La Douleur est sans doute son roman le plus abouti, mais il a également publié beaucoup d’autres textes importants qu’il serait intéressant de traduire par la suite.
Une chance unique, d’Erwan Desplanques (Éditions de l’Olivier, 2016), traduit par Jan Rhein
Dans un zoo, deux amies discutent de leurs vies devant l’enclos d’un ours suicidaire. Un éditeur accueille un jeune stagiaire qui ne s’intéresse pas aux livres mais aux oiseaux. Un homme solitaire rencontre deux autostoppeuses qui lui donnent un nouvel élan – jusqu’au prochain parking…
Les chances uniques, motif commun des dix nouvelles d’Erwan Desplanques, n’offrent pas toujours le résultat attendu aux protagonistes ; mais chaque expérience leur apporte une nouvelle perspective qui leur permet de remettre en question leur situation actuelle. Dans un style à la fois intemporel et actuel, Desplanques utilise avantageusement la forme de la nouvelle en esquissant toute une existence en quelques lignes. C’est une invitation au binge reading pour le plus grand bonheur du lecteur – et du traducteur : car cette forme narrative, par sa concision, impose une attention toute particulière au moindre détail et donc au choix de chaque mot.
Marcher droit, tourner en rond, d’Emmanuel Venet (Éditions Verdier, 2016), traduit par Paul Sourzac
Le narrateur de ce récit particulier, un homme de quarante-cinq ans atteint du syndrome d’Asperger, assiste aux funérailles de sa grand-mère. Conformément à sa manie d’exactitude, il ne peut que s’offusquer d’un hommage posthume bien trop flatteur qui ne reflète guère le vécu de la défunte. Commence une véritable rumination colérique sur les travers de la famille du narrateur et, par extension, sur le (dys)fonctionnement de nos sociétés contemporaines. L’analyse est toute aussi acerbe que drôle – incapable de s’identifier au jeu social, le narrateur se réfugie dans ses deux passions : les catastrophes aériennes, qui sont souvent dues à des malentendus et qui caractérisent par là son propre rapport au monde, et le scrabble, où il est possible de faire autant de points avec « oxygène » qu’avec « asphyxie », le sens des mots étant ravalé par la valeur des lettres. Or Marcher droit, tourner en rond est aussi l’histoire d’une grande solitude, d’un narrateur que la société rejette, qui n’aura jamais le droit d’aimer la femme qu’il idolâtre depuis son adolescence.
Emmanuel Venet soulève la question : quelle place sommes-nous prêts à accorder à « l’autre », au « fou », à « l’inadapté » qui ne se laisse pas aveugler par l’hypocrisie sociale qui nous étouffe ? Tout compte fait, qui d’entre nous marche vraiment droit, et qui continue de marcher en rond ?
L’écriture d’Emmanuel Venet témoigne d’une grande richesse de vocabulaire disséminée dans une hypotaxe élégante et rythmée. Ici se situe le défi principal de la traduction : rendre une perspective littéraire qui reflète la précision et l’acharnement, mais aussi la poésie de la « pensée Asperger » dans un allemand qui soit, en dépit d’une structure bien différente, aussi fluide qu’en français.
N’appartenir, de Karim Miské (Éditions Viviane Hamy, 2015), traduit par Elena Stingl
L’auteur, Karim Miské – écrivain parisien et réalisateur de films documentaires – est le fils d’un père mauritanien et d’une mère française. À cause de son apparence, il a toujours été traité comme un Arabe, comme une pièce rapportée, comme le jamais-pareil. À l’école, par ses collègues, et même en famille. Donc, bien qu’il soit français, son apparence se révèle être une faute. N’appartenir est le résultat de la digestion de ces expériences au travers de l’écriture. Son texte est raconté avec une certaine colère, un sens de l’humour brillant et très acide, sans toutefois tomber dans l’amertume. Lors de la lecture, on rit, on sourit, on apprend aussi, avec un sentiment de complicité. Après tout, la conclusion de N’appartenir est assez optimiste. Comme il refuse de se soumettre aux clichés d’une appartenance identitaire, à la fin du livre, il prend une décision : il choisit de s’appartenir, d’appartenir au monde de la littérature et de la musique. Ainsi, son livre se lit un peu comme une composition free-jazz, une forme hybride à la croisée des genres littéraires : ce n’est ni un récit exclusivement autobiographique, ni une réflexion purement sociologique. Comme Miské le décrit lui-même, N’appartenir est un antidote contre tout stéréotype.
J’ai fait la connaissance de Karim Miské en 2016 à Paris alors que je rédigeais un article portant sur le discours de l’extrême droite en France et sur les phénomènes de discrimination pour le journal d’une ONG munichoise. Après cet entretien, je me suis mise à traduire N’appartenir.
Ce texte représente un défi car la traduction devient elle-même politique : beaucoup de concepts, comme ceux de la race ou du métissage, ne peuvent pas être traduits mot à mot en allemand. Certaines références comme la guerre d’Algérie, les banlieues françaises et la laïcité sont beaucoup moins présentes dans l’histoire culturelle allemande. De plus, la force poétique du texte de Miské réside dans les changements entre les registres de langue, l’allusion à certaines anecdotes et des expressions plutôt elliptiques. La langue allemande, qui exige plus d’explicitations, rend une traduction fidèle presque impossible. Toutefois, elle ne doit pas devenir paraphrase. Traduire Miské, c’est donc, un peu comme son texte, un exercice de funambule.
Vers le français
Der Stachel, de Markus Kirchhofer (Knapp, 2016), traduit par Valentin Decoppet
Der Stachel est un recueil de dix-sept courtes histoires dans lesquelles chaque narrateur raconte un événement particulier de sa vie. Absurdes, frôlant parfois la catastrophe mais toujours touchantes, ces histoires sont racontées avec un ton naturel qui permet au lecteur, si ce n’est de s’identifier à celui qui parle, au moins d’en comprendre l’expérience et de le suivre dans sa narration.
Ce qui m’intéresse beaucoup dans ce texte en tant que traducteur, c’est à la fois la diversité qu’offre les nouvelles et la langue très poétique qui est employée par Markus Kirchhofer pour raconter ses histoires. Les protagonistes de chaque nouvelle ont des voix différentes, et il faut pour cela trouver le ton, le mot juste pour pouvoir le rendre dans la traduction. La langue elle-même est un défi, parsemée de suisse-allemand qu’il faut pouvoir rendre sans altérer la compréhension d’un lecteur francophone. Pour cela, l’utilisation de ce qu’on appelle un parler romand est nécessaire. Le Suisse-Allemand est encore et toujours parlé en Suisse, et le traduire par un patois romand aurait semblé artificiel et surtout loin de l’effet produit sur le lecteur germanophone. Il faut dès lors parfois s’arranger avec le texte, mettre des mots comme chenit, galetas, bouelée ou encore natel à des endroits où le texte ne donnera que Zeug, Dachboden, Schrei ou Handy. Le but étant de transmettre au lecteur cette couleur locale du texte, sans pour autant occulter la portée universelle des thèmes traités dans le recueil.
Ein Niemand, de Daniel Goetsch (Klett-Cotta, 2016), traduit par Thomas Herth
Ein Niemand est le cinquième roman de l’auteur Suisse Daniel Goetsch. Si le célèbre western de Valerii n’était pas déjà passé par là, on serait tenté de traduire son titre par Mon nom est personne.
Le 27 décembre 2006, un homme est arrêté à l’aéroport de Tegel, à Berlin. Il possède un passeport roumain au nom de Ion Rebreanu, mais déclare être en réalité Tom Kulisch, citoyen allemand.
En détention, l’homme raconte alors son histoire au psychologue de garde, chargé d’évaluer s’il a face à lui un imposteur, un fou ou la victime d’un quiproquo. Ce récit nous embarque à travers l’Europe, depuis Berlin jusqu’à Bucarest en passant par Prague et Zurich. A mesure que la lecture progresse, les certitudes s’effacent et Goetsch nous maintient en haleine jusqu’à une chute étonnante que le lecteur, s’il est très attentif, peut néanmoins prévoir dès les tout premiers mots du roman…
Le livre reprend un certain nombre des codes du polar, mais sa langue n’en est pas moins d’une densité poétique remarquable. Dans ce texte où les moindres détails relèvent souvent à la fois de l’indice et du symbole, chaque mot compte. A cela s’ajoute la grande intertextualité du roman, fortement marqué par les Élégies de Duino de Rilke, et le Désert des miroirs de Max Frisch auquel la presse germanophone le compare souvent.
Traduire Ein Niemand, c’est réussir le grand écart entre deux nécessités : celle d’entretenir le suspense, qui consiste à en dire le moins possible et celle de la fidélité à la richesse des images de l’auteur.
Über den Winter, de Rolf Lappert (Hanser, 2015), traduit par Béatrice Maldonado
Über den Winter est le septième roman de l’écrivain suisse Rolf Lappert. L’histoire est centrée sur le personnage de Lennard, un homme de presque cinquante ans qui jouit d’un certain succès en tant qu’artiste plasticien et mène une existence commode et vagabonde, fuyant devant la moindre complication. Lorsqu’il apprend que sa sœur aînée vient de mourir, Lennard est contraint de retourner à Hambourg pour les funérailles, la ville où lui-même a grandi. D’abord décidé à ne rester que quelques jours, Lennard se laisse convaincre par sa famille de prolonger son séjour. Sans vraiment savoir ce qu’il veut faire, l’homme erre dans les lieux de son passé et redécouvre un paysage baigné d’une clarté crépusculaire et à l’architecture marquée par la précarité sociale. Dans cette ville qui lui renvoie en pleine figure son propre malaise, Lennard croise des personnages tout aussi perdus que lui avec lesquels il tente de construire un lien : son père vieillissant, sa sœur fantasque, un fermier, une voisine sénile, un adolescent singulier.
Ce qui m’a plu dans ce roman, c’est d’abord le talent de Rolf Lappert à désorienter son lecteur. Le roman s’ouvre sur le lieu où Lennard s’est retranché pour travailler à son prochain projet artistique. Aucune indication ne permet d’identifier l’endroit clairement, l’impression d’étrangeté domine d’abord, puis petites touches par petites touches la narration s’imprègne de signes qui laissent supposer un lieu sans que jamais rien ne soit nommé. Cette tension entre l’énigmatique et le familier se poursuit tout au long du récit. Au travers d’un récit à la fois rythmé et très visuel qui emporte le lecteur, tout est suggéré sans aucune ostentation. L’indécision du personnage, l’évolution de son rapport aux autres ne sont pas alourdis par un regard moraliste mais transparaissent dans le regard du héros sur les paysages qu’il traverse. Complexe et très travaillée, cette écriture où se mêlent l’universel et le singulier, l’humour et la gravité, est pour moi un vrai défi de traduction. Ce serait également une joie de faire connaître cet auteur qui n’a jamais été traduit en français et qui pourtant connaît un succès critique et populaire en Suisse comme en Allemagne, Über den Winter a d’ailleurs fait partie des six finalistes pour le Deutscher Buchpreis en 2015.
Sophia, de Rafik Schami (Hanser, 2015), traduit par Claire Mélot
Sophia, ou le début de toutes les histoires, est le dernier roman de Rafik Schami (Hanser, 2015).
Après plus de trente ans d’exil entre l’Allemagne et l’Italie, Salman Baladi se languit de Damas, la ville de son enfance, qu’il a dû quitter dans les années 70, suite à son engagement dans la lutte armée au sein d’un groupe révolutionnaire communiste. Il entreprend un voyage qu’il sait pourtant dangereux, et ira de désillusion en désillusion lorsque, pris dans un jeu de cache cache dangereux avec la police secrète, il est confronté à une ville et à une société devenues étrangères.
Cette course-poursuite est l’occasion d’une plongée haletante dans la société syrienne, en 2010, au moment où bouillonnent déjà les prémisses de la révolution. Et c’est cette proximité avec une Syrie méconnue, qui paraît lointaine au point de ne pas appartenir à notre réalité, que je veux faire tout d’abord découvrir aux lecteurs francophones.
Rafik Schami est un écrivain syrien, écrivant en allemand, qui publie depuis une trentaine d’années romans, essais et livres pour enfants. Son œuvre, depuis longtemps reconnue en Allemagne, a été traduite dans plus d’une vingtaine de langues. En français, seules quelques œuvres publiées dans diverses maisons d’éditions (Actes Sud, Ecole des Loisirs, Autrement, Nord-Sud, La Joie de Lire) sont aujourd’hui disponible en littérature jeunesse.
En tant que traductrice, je souhaite ainsi promouvoir un projet d’édition global pour l’ensemble de son œuvre romanesque, ce qui explique le choix du dernier de ses romans, le plus actuel et dont les enjeux sont les plus importants pour l’auteur.
Tout l’enjeu de la traduction est de rester fidèle au ton d’un auteur qui n’écrit pas dans sa langue maternelle. Ce pas de côté dans une langue étrangère, doublé d’une exigence littéraire et d’une vision humaniste est d’un intérêt tout particulier : le fait de s’exprimer dans une langue qui n’est pas la sienne oblige l’auteur, comme le lecteur ensuite, à un léger décalage avec ce qui lui est familier. À la lecture, quelque chose se glisse aux creux des mots, des structures de phrases, qui nous touche et nous transforme. Les très légers glissements de sens ou d’images, de rythme et de structure n’évoquent pas seulement le poids de cinquante ans de dictature mais aussi l’influence du clan sur la vie des individus. La complexité des problèmes sociaux qui en découlent est évoquée par l’emploi de répétitions au sein d’un champ sémantique fait de symboles et d’images, rappelant le double langage de la police secrète. On voit poindre l’humour noir comme seule résistance, mais aussi l’espoir et l’amour dans la structure imbriquée du roman qui rendent une vision très fine et juste du quotidien et des défis auxquels la société syrienne est confrontée. Cette actualité est un des arguments majeurs pour la traduction et la reconnaissance de cet auteur aujourd’hui.
Ein fauler Gott, de Stephan Lohse (Suhrkamp, à paraître en mars 2017), traduit par Alexia Rosso
Ein fauler Gott ( Un Dieu paresseux) de Stephan Lohse, acteur et metteur en scène, est à paraître début mars 2017 aux éditions Suhrkamp.
Ce roman, dont l’action se déroule en Allemagne de l’Ouest pendant l’année 1972, relate le deuil d’une mère célibataire, Ruth et de son enfant, Ben, 11 ans, après que leur fils et petit-frère Jonas meurt des suites d’un accident à la piscine.
La narration alterne entre deux perspectives narratives : celle de la mère et celle de son fils qui traversent cette épreuve de manières très différentes.
Alors que Ruth perd toute joie de vivre, qu’il lui devient difficile de témoigner de l’intérêt pour son entourage, Ben entre dans l’adolescence, âge où l’on s’intéresse à tout, mais peut-être moins à sa famille. Ainsi, ce jeune garçon, oscillant entre candeur et lucidité, se nourrit des expériences qu’il fait au quotidien et parvient à sublimer ce traumatisme grâce une imagination qui de front le porte et le protège.
L’histoire m’a beaucoup touchée pour son point de vue original et parce qu’elle est à la fois intime, intemporelle et universelle. Le style est très influencé par les origines de l’auteur, issu en premier lieu du monde du théâtre. Ainsi, plutôt que de décrire les sentiments et les pensées de ses personnages, Stephan Lohse joue sur le rythme, les dialogues et les images. L’atmosphère, dense et poétique, se dessine donc entre les lignes. Avec la traduction d’expressions et de références culturelles allemandes des années 1970, cela représentera un des défis majeurs de la transposition de ce texte en français.