L’atelier “Lire sa traduction en public”, dédié aux traducteurs confirmés, a débuté le 9 janvier au CITL avec six participants : Julia Azaretto, Élodie Dupau, Barbara Fontaine, Margot Nguyen Béraud, Paul Lequesne et Alexandre Pateau. Catherine Salvini, comédienne et metteur en scène ayant plusieurs fois collaboré au programme La Fabrique des traducteurs, les a accompagnés au long de cette première semaine de travail où les corps et les textes ont été dépoussiérés puis révélés !
Margot Nguyen Béraud – Pour commencer, chaque jour nous secouons la poussière qu’il y a sur notre corps, on se secoue littéralement !
Julia Azaretto – Et nous expulsons l’air noir qu’on a à l’intérieur, pour le renouveler ! Nous avons fait un exercice très intéressant qui permet de te déstabiliser doucement : il s’agit de marcher les yeux fermés en se laissant guider par quelqu’un autre. Cela change ton rapport à l’autre et à toi-même, parce que tu es obligé de faire confiance à l’autre et l’autre est obligé de faire attention à toi. Tout cela est très fragile et pas ordinaire.
Élodie Dupau – Oui, avec Julia j’ai refait cet exercice de me laisser guider les yeux fermés. Nous avons commencé dans les rues d’Arles et nous sommes revenues jusqu’à la résidence du CITL, nous avons monté les escaliers, etc. On travaille sur l’abandon, la confiance que l’on a en soi, en l’autre. Et puis, chacun travaille sur son ancrage au sol.
Paul Lequesne – On fait l’expérience très rare de s’en remettre totalement à l’autre. Tous ces exercices nous permettent aussi à terme de prendre conscience de ce qui dépend et ne dépend pas de nous. Et finalement, on se rend compte qu’il y a très peu de choses qui ne dépendent pas de soi.
Élodie Dupau – J’avais l’habitude des lectures, j’ai travaillé plusieurs fois avec des metteurs en scène mais de manière ciblée, sur un texte en particulier. Là, on creuse vraiment. On travaille la visualisation par exemple. Nous avons lu des textes très différents mais aussi les textes des uns et des autres. Avec ces allers-retours entre différents textes, j’ai le sentiment que quelque chose a changé. Je crois que désormais je m’emparerai plus facilement de n’importe quel texte.
Barbara Fontaine – Pour ma part, j’avais l’habitude des lectures aussi, dans différents lieux, en tant que traducteurs cela nous arrive très souvent, mais finalement je n’avais jamais appris et je suis ravie. Pour moi, le plus difficile c’est l’exercice d’autoportrait que nous faisons tous les jours. Parler de soi, c’est difficile. Tous les jours, nous préparons un texte qui nous présente d’une façon nouvelle et nous découvrons que les perspectives que nous pouvons avoir sur nous-mêmes sont infinies.
Paul Lequesne – Oui, et on en arrive très vite à parler de ses parents, de son enfance… (Rires) Je reviens sur le fait qu’on se lise les uns les autres. J’ai pour habitude de traduire à haute voix : je lis à haute voix ce que je traduis pour entendre ce que cela donne et là, j’ai la possibilité de m’entendre par un autre, c’est très différent et très enrichissant. J’entends autre chose, des choses qui ne vont pas…
Nous apprenons aussi à adresser notre regard car dans une lecture on peut aussi s’adresser à quelqu’un personnellement et pas seulement à un ensemble, le public. Nous nous exerçons à plonger notre regard dans celui de l’autre. Une autre modalité est de regarder l’autre puis de fermer les yeux et de décrire comment il est habillé, de quelle couleur sont ses yeux…
Julia Azaretto – Oui, on apprend à dédramatiser le regard, à simplement établir un contact. Regarder quelqu’un dans les yeux ne veut pas forcément dire j’ai envie de coucher avec toi ou je te déteste ! Nous apprenons aussi à porter notre regard autour de nous. Lors de lectures collectives, chacun lit en se déplaçant, l’un d’entre nous doit se laisser tomber en espérant que quelqu’un le rattrape…
Paul Lequesne – Tous ces exercices font que nous ne lisons plus face au public mais avec le public. Nous apprenons aussi différentes façons de jouer avec l’espace que nous avons, l’exiguïté par exemple. Je peux me déplacer dans un espace réduit, rien ne m’empêche de marcher.
Barbara Fontaine – On apprend à faire avec l’espace que l’on a. C’est très important car souvent on ne connaît pas d’avance le lieu où l’on va lire. Ici nous travaillons dans les différents espaces de la bibliothèque, dans les rayonnages par exemple !
Alexandre Pateau – Pour moi ce stage est une petite révélation. J’avais l’habitude des lectures, je pensais savoir lire et donner quelque chose mais en faisant cet atelier je m’aperçois que je ne savais rien. Ici, j’explore plusieurs voies qui me font prendre conscience de la diversité des possibilités d’un texte. On apprend à s’oublier, par le jeu et la pratique collective. Ce que j’aimerais ajouter c’est que la durée de l’atelier, deux semaines, est vraiment adaptée. On prend le temps de se connaître les uns les autres et c’est essentiel pour trouver une certaine confiance. On peut progresser chaque jour et de manière plus spontanée au fur et à mesure. Cela permet d’essayer plusieurs registres aussi.
Paul Lequesne – Nous partageons une tâche commune. Le mode de vie de ce stage est idéal. Nous cuisinons et mangeons ensemble. Les échanges continuent entre nous le soir. J’aime cette vie communautaire.
Catherine Salvini – L’idée de cette première semaine était de leur donner des outils, d’explorer différents rayonnages, toujours dans un esprit de jeu. En gros, il y en a trois : la voix, le texte, son rapport à l’espace et au public. Au départ, je prends chaque traducteur comme il est et au fur et à mesure je commence à voir ce que je peux élever en chacun. Et ça passe vraiment par le plaisir.
La base c’est d’être là, d’être présent. Nous avons abordé par exemple le « ma ». C’est une notion d’esthétique japonaise qui fait référence aux variations subjectives du vide (silence, espace, durée, etc.) qui relie deux objets. Dans la lecture c’est l’espace de silence ou de respiration mis avant le début de la lecture, entre deux paragraphes… Et puis autrement, on rit beaucoup !
Élodie Dupau – Avec le « ma », c’est une sorte d’union qui se produit entre soi et le texte, entre soi et le public…
Paul Lequesne – En faisant ces exercices, je perçois autrement l’espace de la page, la typographie utilisée, la ponctuation du texte. Et cela aura des conséquences sur ma pratique de traduction. Dorénavant, je serai beaucoup plus sensible à telle virgule placée à tel moment par l’auteur… Cela prend plus de sens.
Catherine Salvini – Les différents exercices que l’on fait créent une distance avec le texte, qui finalement permet de recréer sa structure, de la matérialiser. On décompose beaucoup pour sentir le rythme, l’articulation propres à un texte.
Élodie Dupau – Par exemple, j’ai tendance à étouffer les mots en fin de phrase. Et bien le fait de ponctuer ma lecture avec des sons comme frapper une cuillère sur la table à chaque virgule ou prononcer le son « pan » après chaque point m’a permis de corriger cette habitude prise.
Margot Nguyen Béraud – Et nous faisons aussi l’apprentissage de la non-règle, de la spontanéité.
Julia Azaretto – Pour articuler tout cela à la pratique de la traduction, je dirais que traduire c’est apprendre à lire. Et l’approche des textes par les acteurs, les gens du plateau comme on dit, est très forte et très utile. Ils ont cette capacité à mieux explorer un texte en l’explosant totalement. Il y a plein d’entrées possibles. Souvent, ils proposent une approche très concrète, imagée, du texte ! Je pense que cette approche du jeu, de la mise en voix, est directement liée à ma pratique de la traduction.
Paul Lequesne – Ici, on apprend comment être là et comment incarner le texte qu’on écrit. L’incarnation est essentielle, sinon les mots seuls qu’est-ce que c’est ?